BCE : Mario Draghi sous menace allemande

Après son escapade slovaque du mois de mai, Mario Draghi va réintégrer ses pénates francfortois ce jeudi pour sa conférence de presse annuelle, au 2ème étage de l\'Euroturm assiégée ce week-end par les manifestants d\'extrême-gauche du mouvement « Blockuppy. » Mais l\'inquiétude du président de la BCE sera sans doute moins motivée par ces banderoles rouges que par les habits rouges des juges constitutionnels allemands. Car Mario Draghi a toutes les raisons d\'avoir en tête l\'épée de Damoclès de la cour constitutionnelle allemande en tête lorsqu\'il répondra aux questions des journalistes.Que peut faire de plus la BCE ?Ces derniers ne manqueront pas de lui demander s\'il entend, un mois après avoir baissé le taux directeur de la BCE de 25 points de base, aller plus avant encore dans les mesures non conventionnelles. Plusieurs « armes » sont sur la table, plus ou moins crédibles : un taux de dépôt négatif, le rachat de crédits de PME titrisés ou encore des opérations de refinancement à long terme à grande échelle... Il n\'existe en réalité aucune raison que la pression sur ce terrain soit moins forte pour Mario Draghi. Certes, quelques signes encourageants ont été enregistrés ici ou là, mais fondamentalement les données du problème européen restent les mêmes qu\'il y a un mois : la récession se poursuit et les PME des pays périphériques manquent toujours de crédit. La baisse des taux n\'y a rien changé, ce qui était prévisible. Or, Mario Draghi a promis en mai que la BCE « demeurait prête à agir si nécessaire. » S\'il n\'y a pas aujourd\'hui de nécessité urgente, beaucoup attendront de la BCE dès jeudi un signe quant à sa détermination à agir.La menace de KarlsruheMais c\'est ici que se dresse un autre obstacle face au président de la BCE. Dans un rapport rendu public lundi par la Frankfurter Allgemeine Zeitung, l\'ancien juge constitutionnel allemand Udo di Fabio a mis en garde sans ménagement Mario Draghi. Si la BCE passe outre son mandat, autrement dit ignore les traités, la Cour de Karlsruhe devra « exiger le retrait de l\'union monétaire ou l\'annulation des traités. » Autrement dit, Udo di Fabio attribue à Karlsruhe le droit de sortir l\'Allemagne de la zone euro si la BCE va trop loin. Certes, l\'ancien juge reconnaît que « nul ne peut imaginer aujourd\'hui que la Cour constitutionnelle puisse appuyer sur ce « bouton » », mais l\'essentiel n\'est pas là. La menace de Karlsruhe plane désormais sur la BCE et il n\'est pas à exclure que le tribunal, dans sa prochaine décision ne pose clairement les bornes à l\'action future de la BCE. Il l\'avait fait avec le gouvernement fédéral allemand dont il a déjà beaucoup limité la capacité d\'action sans l\'accord du Bundestag. Une telle décision de Karlsruhe serait un cauchemar pour Mario Draghi qui verrait à la fois sa crédibilité et sa marge de manœuvre considérablement réduites.La Buba contre la BCEOr, précisément, la Cour de Karlsruhe procédera les 11 et 12 juin prochains à des auditions sur les plaintes déposées au sujet du Mécanisme européen de stabilité (MES) et du programme de rachat illimité d\'obligations souveraines (appelé OMT) qui y est lié puisque ne peuvent prétendre à l\'OMT que les pays sous aide du MES. Les déclarations de Mario Draghi ce jeudi pèseront naturellement lourd dans la balance de ces auditions. D\'autant que le Tribunal devrait être le lieu d\'une passe d\'armes entre la Bundesbank, représentée par son président Jens Weidmann, et la BCE, représentée par le membre allemand de son directoire Jörg Asmussen. La « Buba » ne manquera pas d\'affirmer aux juges que la BCE est allée trop loin dans le sauvetage de l\'euro. Déjà en décembre, elle avait envoyé une analyse au vitriol à la Cour de Karlsruhe où l\'OMT et le mécanisme d\'aide d\'urgence à la liquidité, ELA, était assimilés à des aides aux Etats membres. Surtout, la Bundesbank avait insisté sur la nécessité de maintenir des écarts de taux au sein de la zone euro. Ces écarts représentent, selon elle, des risques différents liés à des gestions différentes. Il est donc normal que les Etats et les entreprises paient des taux qui reflètent ces écarts. Pour réduire ces écarts, il faut réduire les risques : accepter les faillites bancaires et réduire les dépenses publiques. Voici pourquoi la Buba refuse toute aide aux PME des pays périphériques. Ces aides introduisent des distorsions et reviennent à substituer la BCE et l\'argent de tous les Européens aux efforts nécessaires des gouvernements des Etats périphériques.Le choix difficile de Mario DraghiDans cette logique, non seulement la BCE est allée déjà trop loin, mais elle ne peut avancer plus avant. Le rachat de crédits titrisés est, pour la Buba, inacceptable parce qu\'elle favoriserait « l\'aléa moral » tout en affaiblissant le bilan de la BCE et donc en faisant porter des risques considérables pour les contribuables européens, et particulièrement, allemands. La Buba va tenter de convaincre Karlsruhe de poser des limites à l\'action de la BCE. Jeudi, Mario Draghi aura forcément en tête ce danger lors de sa conférence de presse. Il ne peut décourager les attentes du marché et des entrepreneurs du sud de la zone euro qui attendent davantage de sa part. Mais il ne peut guère se permettre d\'entrer en conflit ouvert avec la Buba et, surtout, avec Karlsruhe. Sa marge de manœuvre est donc des plus étroites. Plus que jamais, la cour constitutionnelle allemande détient une partie des clés de la crise et de la future architecture économique de l\'Europe. 
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