Ventes à découvert  : la fausse solution de l'interdiction

Mai 2010 : l'euro est en crise?; les régulateurs allemands et autrichiens interdisent les ventes à découvert. Avril 2010 : la Bourse d'Athènes s'effondre?; les régulateurs grecs interdisent les ventes à découvert. Septembre 2008 : Lehman Brothers fait faillite et les régulateurs des principaux pays interdisent les ventes à découvert. 1724 : le système de Law s'effondre?; les régulateurs français interdisent les ventes à découvert. La vente à découvert, une pratique boursière aussi vieille que la Bourse, a toujours senti le soufre. Elle serait néfaste pour l'économie car porteuse de fluctuations inutiles. Les spécialistes de la finance la considèrent au contraire comme l'outil de l'intelligence, qui accélère la révélation de l'information, accroît les transactions et la liquidité du marché, facilite l'émission de nouveaux titres.Dans les faits, ces interdictions ponctuelles ne semblent pas affecter les marchés dans le sens souhaité. L'interdiction allemande a été accusée d'avoir augmenté l'incertitude réglementaire et de désorienter les opérateurs internationaux, ce qui aurait pesé, à court terme, sur l'euro. En 2008, l'interdiction édictée dans l'urgence n'a pas réduit la volatilité. Surtout, ces interdictions sont incapables d'empêcher les opérateurs de prendre les positions qu'ils souhaitent : ils auront simplement recours à des combinaisons d'autres opérations qui permettent de répliquer celles qui sont interdites directement. Pire, ces nouvelles opérations peuvent déstabiliser d'autres marchés ainsi associés. La solution de l'interdiction semble donc inefficace pour lutter contre l'instabilité financière.Le problème central que posent les opérations à découvert est le risque de contrepartie qu'elles font subir aux intermédiaires qui les exécutent. Ce risque naît du délai qui s'écoule entre la conclusion du contrat et le dénouement de l'opération, délai durant lequel une variation inattendue de la richesse des parties peut affecter leur capacité à remplir leurs obligations. La défaillance d'un nombre élevé d'opérateurs peut provoquer des pertes en chaîne suffisantes pour enclencher un cycle de méfiance et de défaillances à grande échelle, c'est-à-dire une crise systémique.Pour éviter de tels enchaînements, il n'est pas utile d'interdire ces opérations, mais il faut les organiser. Au XIXe siècle, la Bourse de Paris avait le marché à terme le plus développé et le plus sophistiqué du monde, sans que cela débouche sur une plus grande instabilité, et ce malgré une légalité douteuse de ces opérations qui accroissait les risques (certains vendeurs à découvert refusaient de payer leurs pertes en arguant de l'illégalité de ces opérations, ce que les tribunaux acceptaient quelquefois). Pourquoi ce succès ? Les agents de change étaient parvenus à construire un marché transparent et réglé, et à fournir des garanties importantes pour limiter les risques et couvrir les pertes. La transparence permet à la fois de réduire les problèmes d'asymétrie d'information, de rendre plus difficiles les délits d'initiés et de faciliter la confrontation de l'offre et de la demande. Des règles strictes d'échange réduisent les risques de marché en contenant l'« auri sacra fames » (la cupidité) des clients. Enfin, la garantie de bonne fin des opérations protège le client final?; elle est alors bâtie autour d'un fonds commun alimenté par les agents de change, mais aussi appuyé sur leur propre patrimoine.Cette organisation a fait ses preuves peu à peu et permis aux agents de change de légitimer les opérations qu'ils exécutaient, ce qui a conduit à la légalisation des opérations à découvert en 1885. Ce ne sont donc pas les opérations à terme qui ont assuré la stabilité du marché, mais la construction institutionnelle de la Bourse, notamment la règle de centralisation des ordres et les systèmes de règlement, de livraison et de garantie centralisés. Plutôt que de vouloir séparer le bon grain de l'ivraie par des interdictions ponctuelles, l'histoire boursière nous enseigne que le plus important consiste à bien mettre les marchés réglementés au centre du jeu et à bien veiller à ce que les intermédiaires et les banques qui opèrent sur les marchés réglementés ne s'aventurent pas sur les marchés de gré à gré. (*) École d'économie de Paris, université de Paris-Dauphine et European Business School.
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