Chine : l'usine du monde est en ébullition

C'est la plus grande usine du monde. Une ville dans la ville, plantée à une encablure de Shenzen, dans le sud de la Chine. Nous sommes à l'usine Longhua, du groupe Foxconn. De ses ateliers sortent tous les gadgets électroniques à la mode : de l'iPhone d'Apple, aux portables Sony en passant par les consoles de jeux Nintendo. Des clients prestigieux et exigeants pour lesquels travaillent sans relâche 300.000 ouvriers. Jeunes et fraîchement débarqués des campagnes pauvres de l'Ouest. 85 % d'entre eux ont moins de 25 ans et Foxconn est généralement leur tout premier employeur.Mais depuis quelques semaines, la tension est palpable. Sécurité, filets antisuicides installés autour des toits et contremaîtres aux aguets. Ici, dix personnes se sont tuées depuis le début de l'année. Trois autres au moins ont tenté de mettre fin à leurs jours. Des suicides qui jettent le trouble sur les méthodes de management qui ont cours derrière ces murs.« Ils se lèvent le matin, passent de nombreuses heures sur les lignes d'assemblage et puis ils retournent dans leur dortoir et ils dorment, résume Geoffroy Crothall de l'ONG China Labour Bulletin, association basée à Hong Kong et qui tente de protéger les droits des ouvriers chinois. Les ouvriers ne sont guère plus que des machines. »Mais, malgré cela, la main d'oeuvre continue d'affluer dans cette région. Première province exportatrice de Chine, le Guangdong incarne à lui seul l'expression d' « usine du monde ». Des hangars à perte de vue, autour de ce qui n'était encore il y a trente ans qu'un modeste village de pêcheurs, à une encablure de Hong Kong, plaque tournante du commerce en Asie.Enfants d'agriculteurs ou d'ouvriers, peu éduqués, de jeunes Chinois viennent grossir les rangs des soutiers de cette province de 110 millions d'habitants. Régulièrement des campagnes de recrutement sont organisées sur le site de Foxconn, principal employeur de la ville. Les candidats sont jeunes, vêtus d'un simple jean et d'un tee-shirt. à la gare de Shenzen, ils débarquent en petits groupes. « Je viens du Hunan, explique un jeune garçon tout juste âgé de 19 ans. J'ai des amis qui travaillent déjà ici, ils m'ont parlé de cette usine. Ils m'ont dit qu'il y avait du travail et que les salaires étaient payés régulièrement et convenablement. » Avec 200 euros par mois en moyenne, les ouvriers de Foxconn sont en effet plutôt bien lotis. Nourris et logés, ils épargnent une grande partie de leur salaire pour l'envoyer à leur famille. L'annonce cette semaine d'une augmentation de 30 % des salaires pour tenter d'éteindre la polémique liée aux suicides devrait attirer de nombreux ouvriers supplémentaires.Cité interditeAlors que se passe-t-il vraiment derrière ces murs ? La direction ne nous a pas laissés visiter cette cité interdite. Selon nos informations, le site est composé d'une douzaine d'immeubles et d'ateliers étalés sur plus de deux kilomètres carrés. Trois hôpitaux, une caserne de pompiers, des supermarchés et dix cantines. 150.000 repas y sont servis trois fois par jour. Le groupe souligne la présence de cinq piscines et 400 ordinateurs en libre-service. Le tout à partager entre les quelque 300.000 ouvriers du site. 300.000 personnes qui mangent, dorment et travaillent ici six jours sur sept. Un ancien contremaître rappelle la discipline quasi militaire qui a cours. « Le plus important pour la direction est de tenir les délais, donc la pression est très grande sur nous et sur les ouvriers que nous dirigeons. Ils doivent parfois effectuer de longues heures supplémentaires. Bien sûr, il est officiellement interdit de maltraiter le personnel, mais je connais des responsables qui traitent mal leurs ouvriers. Ils ne les voient pas comme des êtres humains. » Les conversations entre ouvriers sont interdites et les pauses toilettes limitées à dix minutes toutes les deux heures. Un employé nous raconte anonymement les odeurs de solvants qui flottent dans l'air et les douze heures de travail quotidien dans un rythme tendu. « C'est dur d'avoir des amis, parce que nous ne sommes pas autorisés à parler avec nos collègues. C'est une vie qui n' a pas de sens », explique-t-il. Une discipline de fer que n'aurait pas supporté Ma Xingqian. Il n'avait que 18 ans quand il a sauté par la fenêtre de son dortoir. Ma ne travaillait chez Foxconn que depuis 73 jours et la direction estime que des raisons personnelles pourraient expliquer son geste. « Les investisseurs étrangers ont longtemps cru que cette main d'oeuvre chinoise était docile. Un sentiment de sécurité qui explique qu'ils ont investi des centaines de milliards d'euros dans des usines pour alimenter leur production. On voit qu'ils se sont trompés », souligne Arthur Kroeber, économiste chez Dragonomics.
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