Concurrence : les limites du calcul des sanctions

L'Autorité de la concurrence vient de publier un projet de lignes directrices sur sa politique de sanction. L'équivalent existe au niveau de la Commission européenne mais, pour la France, c'est une innovation radicale. Notre tradition répressive veut que les peines soient caractérisées dans la loi par un simple plafond, d'autant plus élevé que l'infraction est grave, le juge fixant librement la sanction à la suite d'une opération d'individualisation.On se souvient que, lorsque Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait émis l'idée de « peines planchers », c'est ce principe d'individualisation qui lui avait été opposé par le monde judiciaire. Afficher une méthode objective de calcul de la sanction, et surtout la publier soi-même quand on est, comme l'Autorité de la concurrence, le « juge » en charge de l'infliger, n'est donc pas anodin.Le projet peut s'appuyer sur une théorie de la sanction imaginée au XVIIIe siècle par Beccaria puis développée par les utilitaristes : le délinquant potentiel est un « homo oeconomicus » qui ne s'abstient de violer la loi qu'après avoir vérifié que la peine qui lui sera infligée l'emportera sur les gains qu'il espérait tirer du délit.Cela suppose une parfaite prévisibilité de la peine que seules des lignes directrices assez précises permettent d'assurer. La méthode est bien adaptée au droit de la concurrence puisque les gains comme les sanctions s'expriment en unités monétaires. De plus, ce droit ne comporte qu'un plafond unique très élevé - 10 % du chiffre d'affaires du groupe - applicable, par exemple, aussi bien à une entente secrète sur les prix qu'à une erreur purement technique dans la mise en place d'un circuit de distribution : la prévisibilité était impossible. D'autres arguments peuvent être convoqués, des plus nobles (des lignes directrices font reculer l'arbitraire) aux plus pratiques (elles aident les commissaires aux comptes à calculer les provisions).Le lecteur du projet qui voudrait s'en servir pour anticiper les risques de son entreprise serait cependant déçu : après un début quasi mathématique (l'application d'un pourcentage au montant des ventes annuelles affectées par l'infraction), la fourchette de pourcentages est si large et les correctifs si nombreux qu'il est impossible d'en déduire un chiffre, même approximatif.La nécessité d'individualiser justifie les correctifs, en pratique impossibles à chiffrer, mais pas seulement : l'Autorité de la concurrence, clairement, n'a pas voulu que la sanction puisse être vraiment prévue. C'est que l'approche utilitariste présente un danger évident : si le niveau de sanction est sous-évalué, l'entreprise rationnelle pourrait, aux yeux de l'Autorité en tout cas, préférer l'infraction au respect de la loi. Ménager des surprises permet de parer à ce risque.Ainsi, ce qui devait servir à prévoir ne le permet pas et ce qui illustrait l'une des doctrines répressives se nourrit aussi des autres. Le droit de la concurrence illustre la fatalité pesant sur toute répression : sa nécessité se réduit mal à une doctrine et son maniement dépend toujours de la sagesse d'un juge. Le projet n'est pas pour autant sans intérêt mais l'exemple de la Commission européenne montre que ses lignes directrices ont eu pour effet l'augmentation plus que la prévisibilité des sanctions : si c'est aussi l'objectif en France, ne vaudrait-il pas mieux, alors, en débattre ouvertement ?
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