François Hollande a-t-il été berné par Mario Draghi ?

Un événement important, susceptible d\'influencer les politiques économiques en Europe mais passé inaperçu, s\'est produit lors du dernier Conseil européen. Cette réunion était l\'occasion pour les dirigeants européens de faire le point sur les priorités économiques et les stratégies pour sortir l\'Europe de la crise. François Hollande y était arrivé en fervent défenseur de la croissance. Il a été proprement recadré par la démonstration implacable du président de la BCE, Mario Draghi. C\'est du moins le récit qu\'en a fait le quotidien allemand \"Frankfurter Allgemeine Zeitung\", dans un article du 19 mars (Die gespaltene Währungsunion). Mais la présentation de Mario Draghi comportait une grossière erreur, qui biaise totalement ses conclusions. Super Mario, comme le surnomment affectueusement les marchés financiers, a montré, graphiques à l\'appui[1], que c\'était assez simple. Nous avions d\'un côté les pays déficitaires en rouge, et de l\'autre, en bleu, les pays en surplus. Les rouges avaient laissé filer les salaires, bien au-delà de ce qu\'ils avaient gagné en productivité du travail. Leur compétitivité s\'était donc effondrée. Les bleus quant à eux, n\'avaient augmenté les salaires que dans les mêmes proportions que la productivité. La France était en rouge et l\'Allemagne parmi les bleus. En deux diapositives, la messe était dite. Sonné, le président français était resté groggy sur son siège, incapable d\'apporter la moindre répartie.L\'analyse du président de la BCE repose sur une présentation erronée On peut cependant se demander si François Hollande n\'a pas été berné par Mario Draghi. En effet, l\'analyse du président de la BCE repose sur une présentation erronée, qui fausse l\'analyse. L\'élément central de sa démonstration[2] consiste à comparer d\'un côté la rémunération des salariés en valeur nominale (inflation inclue), avec la productivité en valeur réelle (hors inflation). Evidemment, le fait de prendre les salaires en nominal et la productivité en réel, donne à penser que les salaires ont explosé par rapport à la productivité. Et laisse croire que les Français sont des gros dépensiers. Ils doivent se serrer la ceinture et faire des réformes structurelles, point barre.Mais, une fois l\'erreur de Draghi corrigée, la réalité est tout autre. Si l\'on regarde les objectifs d\'inflation inscrits dans le traité de Maastricht et si l\'on compare l\'évolution des salaires et de la productivité, les deux en valeur réelle cette fois, on distingue trois types de pays au sein de l\'union monétaire. Dans la première catégorie, on trouve la France. Depuis la création de l\'Euro, notre pays a scrupuleusement suivi l\'objectif requis par la BCE de 2% d\'inflation annuelle. Et, les salaires réels ont suivi la productivité réelle. Ensuite, on a le sud de l\'Europe. Ces pays ont connu une inflation supérieure à 2% par an, et les salaires y ont progressé un peu plus que la productivité. A leur décharge, un afflux de capitaux étrangers a provoqué une surchauffe entre 2000 et 2007. Enfin, le troisième groupe, Allemagne en tête, est constitué des pays ayant décidé de gagner des parts de marché en Europe. Une inflation nettement inférieure aux objectifs de la Banque Centrale et une compression des coûts salariaux réels par rapport aux gains de productivité, leur ont permis de gagner en compétitivité, au détriment du sud de l\'Europe et aussi de la France.Vouloir appliquer aujourd\'hui la recette allemande à toute la zone Euro ne peut pas fonctionner Pour qu\'une union monétaire fonctionne, ses membres doivent jouer en équipe et éviter de laisser des déséquilibres s\'installer entre eux. C\'est la raison des critères de Maastrich. A cet égard, le troisième groupe de pays a clairement joué solo. Il est en grande partie responsable de ces déséquilibres qui sont la source de la crise. Par ailleurs, vouloir appliquer aujourd\'hui la recette allemande à toute la zone Euro ne peut pas fonctionner, car comment un pays peut-il être exportateur net, si aucun autre pays n\'accepte d\'être importateur net ? Enfin, empêcher les salaires de progresser comme les gains de productivité revient à favoriser le capital au détriment des salariés dans le partage de la valeur ajoutée d\'un pays. On ne peut poursuivre ce genre de politique très longtemps, sauf à accepter de provoquer une explosion des inégalités et un appauvrissement des classes moyennes. Mario Draghi a-t-il commis une grossière erreur ou bien a-t-il sciemment biaisé sa présentation, afin d\'imposer un agenda appris du temps où il était banquier chez Goldman Sachs ? Peu importe Monsieur le Président, sachez simplement que la France est le bon élève de la zone Euro. Vous avez raison d\'insister sur la croissance. Le seul moyen de sauver l\'Europe est de relancer la demande, en particulier en Allemagne. * Professeur de finance au sein de SKEMA Business Scool depuis 1999, Bertrand Groslambert a précédemment travaillé comme contrôleur financier pour la société Total au Sénégal puis a ensuite été gestionnaire de portefeuille pour la société FP Consult à Paris. 
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