L'obsession immobilière britannique, un enjeu électoral

Avec ses briques claires sur les deux premiers niveaux, puis des balcons métalliques foncés ornant les étages supérieurs, l'immeuble baptisé Hill House, à la fois banal et agréable, ne se distingue guère des bâtiments aux alentours. Le petit parc qui s'étend aux pieds de cette construction récente, mériterait certes un peu de nettoyage, mais la vue sur la Tamise, large d'un demi-kilomètre à cet endroit fait rapidement oublier les papiers gras qui traînent. C'est pourtant ici que se situe le « ground zero » de la crise immobilière britannique. à Hill House, 82 des 84 appartements ont été saisis pendant la crise, leurs propriétaires ne pouvant pas rembourser leur emprunt. Tous ont été victimes du même rêve obsessionnel des Britanniques : devenir propriétaire.Le promoteur du complexe avait fait miroiter des merveilles lors de sa construction, en 2006, juste avant le pic du marché immobilier. « Dans certains cas, il payait même l'avance de 5 % permettant aux acheteurs d'obtenir leur prêt, si bien que ceux-ci obtenaient les clés de leur nouvel appartement sans rien débourser », soupire Lynn Randall, de l'agence immobilière locale TM-Thamesmead. Les clients, mus par frénésie spéculative, comptaient sur la hausse du marché immobilier pour revendre le logement quelques années plus tard.spéculation oséeLa chute du marché - les prix ont baissé de 25 % entre 2007 et 2009 - a brisé leurs ambitions. à Hill House, les prix ont chuté encore plus brutalement, de presque 50 %. Il est vrai que la spéculation sur ce nouveau quartier, excentré était particulièrement osée : pas un magasin n'est visible à l'horizon, et se rendre à Londres en transport en commun relève du parcours du combattant. Dans cette lointaine banlieue du Sud-Est londonien, Thamesmead, seules les voitures et les antennes satellites ont envahi le paysage. La crise n'a pourtant pas éteint la passion britannique pour la pierre. Lors de la présentation du budget le mois dernier, le gouvernement - dont les caisses sont vides - n'a consenti qu'un seul cadeau fiscal : la suppression de l'impôt sur les achats immobiliers de moins de 280.000 euros pour les primo-accédants. « Dans ce quartier, cette proposition couvre pratiquement tous les logements », estime Lynn Randall. Les conservateurs ont répliqué dans leur programme ce mardi : tous les primo-accédants seront exonérés de taxe immobilière. « Les partis politiques veulent toujours se montrer sympathiques envers les primo-accédants », souligne Steve Wilcox, du Center for Housing Policy, à l'université de York. Une attention qui n'est pas nouvelle : personne, de ce côté de la Manche, n'a oublié que Margaret Thatcher fut la première à permettre aux habitants de logements sociaux d'acheter l'appartement qu'ils occupaient. Pas étonnant que l'on compte aujourd'hui 70 % de Britanniques propriétaires, contre 56 % en France. Cette générosité de la Dame de fer a rapidement débouché sur une frénésie immobilière, les prix des maisons triplant entre 1992 et 2007. Des dizaines de programmes de télévision ont alors vu le jour, expliquant comment acheter au meilleur coût un logement désuet et le retaper pour gagner rapidement de l'argent. « Les gens n'achètent plus un endroit pour habiter, mais une propriété où investir, se désespère Huw Chadbourne, un peintre-décorateur. Ils veulent tous que les murs soient blancs cassés, ou crème, parce que cela se vend mieux. »La folie immobilière est bien repartie : les prix ont déjà rebondi de 10 % depuis un an. Même à Hill House, les acheteurs sont de retour. Aujourd'hui, seule une dizaine de logements sont encore vides. Mary, jeune mère de famille locataire d'un appartement, n'attend d'ailleurs qu'une chose : « on voudrait vraiment pouvoir acheter notre propre logement ». Elle reconnaît pourtant qu'elle a de nombreux amis qui peinent à payer tous les mois leur emprunt. Mais la crise, qui a frappé ses voisins, ne l'a visiblement pas découragée. Et ce ne sont pas les hommes politiques britanniques qui chercheront à la dissuader de devenir, à son tour, propriétaire.Éric Albert, à Londres
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