Jean-Marie Cavada : « L'audiovisuel public grec était devenu une machine ingouvernable »

En votre double qualité de député européen (Centre) - président de l\'Intergroupe Média au Parlement - et d\'ancien directeur ou président de chaînes françaises de radio-télévision (notamment Radio France de 1998 à 2004), que vous inspire la fermeture de l\'audiovisuel public grec ERT ?Antonis Samaras a voulu frapper l\'opinion publique, et s\'est servi de cet épineux et sensible dossier pour montrer la nécessité d\'aller plus loin dans la contraction de la fonction publique. Il envoie indirectement un message à la Troïka (Commission européenne, FMI, Banque centrale européenne) qui, comme chaque trimestre, vient vérifier la mise en œuvre et les progrès du plan de redressement. Enfin, il doit se saisir de cette décision pour réformer un secteur public de l\'information TV et radio déliquescent.C\'était en effet devenu un mastodonte emblématique des dérives de la gestion publique....La Grèce est malade non de ses ressources privées, mais de l\'état de ses finances publiques. Effectivement, ce groupe pléthorique - 5 chaînes de télévision, près de 2 700 salariés - incarnait l\'obsolescence du fonctionnement de l\'Etat. Il était devenu au fil du temps une machine ingouvernable, puisque depuis trente ans les deux grands partis qui se sont partagé le pouvoir s\'en servaient pour recycler une partie de leurs élites. Toutefois, et au nom de l\'Intergroupe Médias je m\'en suis publiquement ouvert au Parlement européen, il faut veiller d\'une part à ce que la résolution de cette affaire ne soit pas le prétexte à un nettoyage politique partisan - comme la Hongrie en a fait la démonstration -, d\'autre part à ce que la reconstruction du service public de l\'audiovisuel respecte une stricte neutralité politique.Comment lisez-vous cette décision à l\'aune de l\'état de santé de la démocratie grecque ?Il faut remonter à 1980 en Pologne et à la décision du général Jaruzelski pour trouver trace d\'un écran noir sur les télévisions. Une telle issue est déchirante. Antonis Samaras a provoqué un coup de canif profond dans la confiance entre le peuple et le gouvernement. Mais cette décision doit aussi être projetée sur la situation d\'une démocratie qui, depuis plusieurs décennies, a fait du clientélisme l\'un de ses rouages et donc l\'une des causes de la déflagration du pays. Le « cas » du secteur public de l\'audiovisuel en est emblématique. En revanche, il faut éviter tout fallacieux raccourci : la population aspire à une démocratie moderne.Par la pression qu\'elles exercent et les conditions qu\'elles ont imposées au déploiement du Plan de redressement, la Troïka, et donc l\'Union européenne, portent une part de responsabilité dans ce « choc démocratique ». Cette part de responsabilité doit-elle être défendue ?Les autorités compétentes de l\'Union européenne ont démenti toute intervention dans le processus décisionnel. D\'autre part, lorsqu\'une maison s\'écroule, il me semble bien peu honnête de faire porter la responsabilité sur les pompiers rendus « coupables » d\'abattre le dernier pan de mur... Pour autant, l\'Union doit assumer les grandes lignes d\'un plan de rigueur qui prévoit in fine la suppression de 150 000 postes publics et, dès maintenant, la disparition de 4 000 d\'entre eux. La rigueur est nécessaire mais elle n\'est bien sûr pas suffisante ; il faut mettre un pied sur le frein et un autre sur l\'accélérateur de la croissance. Reste qu\'il faudra bien reconstruire un secteur public de la télévision et de la radio, et donc embaucher.... Je redoute, à la fin, le pire : une situation dont tout le monde serait co-responsable et donc chacun responsable de rien.Sa proche voisine la Turquie offre deux visages : celui d\'une partie de la population en lutte contre un pouvoir jugé liberticide, celui d\'un pouvoir qui recourt à une vive répression mais qui aussi développe l\'économie d\'une manière inédite. La population doit-elle choisir entre liberté et niveau de vie ? Cette actualité scelle-t-elle le sort de la « Turquie européenne » ?Le courant libertaire, très présent dans les grandes agglomérations, réclame une démocratie que le pouvoir a décidé de combattre. Par le passé je n\'ai cessé de le dire, et maintenant les faits me donnent raison : le gouvernement Erdogan montre son vrai visage, celui d\'un autoritarisme et d\'un excès de pouvoir prenant pour engrais le traditionnalisme islamique, et qui est sous surveillance d\'une armée qui entretient de puissants liens, pas toujours gratuits, avec l\'industrie. Pour cette raison, je ne veux pas de la Turquie dans les instances politiques européennes. Elle n\'a pas sa place dans la construction politique du continent, elle n\'a pas sa place dans la zone euro, elle n\'a pas sa place dans l\'espace Schengen. Ses relations avec l\'Europe doivent se limiter aux échanges économiques et commerciaux.  
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