Les paradoxes de Bâle III

La crise financière avait mis en avant le risque de liquidité, l'opacité de la finance illusionniste et la question de la rémunération des traders... autant de sources de risques importants. Eh bien voici que les grands ajustements qui concernent directement ces trois piliers de la finance sont repoussés à 2018, sauf aux États-Unis avec la réforme Obama... Autant dire la nuit des temps dans le contexte actuel des marchés qui vivent à la nanoseconde.En Europe, en revanche, on accepte le diktat international bâlois. Le terme à la mode n'est plus de s'attaquer à la rémunération excessive génératrice d'instabilité financière, mais bien au contraire d'augmenter les fonds propres : augmenter les fonds propres permettrait de contenir le risque bancaire et de stimuler l'économie. Dans ce sens, la réforme dite de Bâle III pourrait être une aubaine pour ceux qui, par aversion au risque, aimeraient voir enfin le secteur bancaire jouer son rôle séculaire traditionnel de financement de l'économie sans faire appel à l'État et au contribuable. Pourtant, cette réforme pourrait bien aller à l'encontre de ses objectifs rêvés.Ce qui est étonnant dans cette affaire, c'est que les « stress tests » récents auraient dû suffire à rassurer tout le monde puisqu'ils étaient dans l'ensemble bons ! « Stress tests », d'ailleurs, plus à même de mesurer la solidité du système bancaire moyennant des hypothèses réalistes et une communication financière appropriée, qu'une simulation en grandeur nature par les fonds propres et décrétée unilatéralement d'en haut.En réalité, l'augmentation des fonds propres peut aussi avoir des effets contradictoires sur la prise de risque, surtout lorsqu'elle repose sur une augmentation de la part volatile des fonds propres, celle qui peut aussi produire des signaux négatifs vers le marché !Dans le meilleur des cas, imaginons que cela puisse augmenter de 100 à 150 milliards d'euros les ressources stables des banques, ce fameux Core Tier One : en quoi est-ce que cela pourrait limiter la prise de risque ? Au contraire ! On peut aller jusqu'à imaginer que cette réforme stimule davantage les augmentations de capital et les dividendes qui s'ensuivent en incitant les banques à sélectionner des crédits très rentables, puisqu'elles se voient maintenant plafonnées en volume, avec le cortège d'asymétries d'information qui s'ensuit selon le bon vieux principe « Des mauvais chassent les bons »...Car avec une augmentation des fonds propres, l'industrie financière devient de plus en plus sélective dans un contexte de croissance molle ! Or, ici, tout le tissu de PME fiables dans le long terme pourrait bien en pâtir. Pourtant, Bâle II incitait déjà les banques à opter pour des méthodes d'évaluation spécifiques aux PME... Aussi, au contraire, les agents économiques les plus risqués pourraient eux aussi, à leur insu, se retrouver une nouvelle fois sur la sellette de la finance : il suffit que la hausse des rendements surpasse la hausse des fonds propres, avec l'État derrière, en cas de défaut...Cette réforme est d'autant plus surprenante qu'elle vient contrecarrer les bonnes initiatives de la BCE qui a décidé de maintenir ses taux « refi » inchangés à 1 %, ce qui facilite le refinancement bancaire et la reprise de l'activité dans un esprit contra-cyclique. Il n'était pas nécessaire de compliquer le problème en ajoutant au ratio intermédiaire de solvabilité procyclique un autre coussin contracyclique ! La BCE avait déjà résolu le problème de la procyclicité par le maintien de taux extrêmement bas. Il faut prendre garde à ne pas neutraliser les effets positifs sur la croissance économique des orientations de la BCE par des effets négatifs sur celle-ci des orientations du « G27 » (les vingt-sept banquiers centraux du Comité de Bâle) et de la régulation prudentielle mondiale.Enfin, c'est oublier la palette d'ingéniosité financière qui permettra aisément de contourner les règles. D'ailleurs, certains avaient déjà anticipé cette mesure... Il suffisait de brouiller les cartes du périmètre des fonds propres en créant encore davantage d'instruments hybrides. Aussi, cette réforme pourrait bien augmenter la volatilité des ratios intermédiaires de solvabilité en l'absence de normes comptables homogènes...
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