La France est-elle au gaz de schiste «ce que le Qatar est au pétrole» ?

François Hollande a relancé le débat sur le gaz de schiste mardi en rappelant la loi de juillet 2011 qui n’interdit «que» la technique de la fracturation hydraulique mais pas l’exploration et l’exploitation de gaz de schiste en tant que tel. Ce qui laisse ouverte la porte de cette exploitation en France, si un jour d’autres techniques sont mises au point. Reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle. Michel Rocard, lui, en est certain. «La France est bénie des dieux. Pour l’Europe, elle serait au gaz de schiste ce que le Qatar est au pétrole. Peut-on s’en priver? je ne le crois pas», a déclaré l’ancien premier ministre dans une interview au Monde parue le week-end dernier. Sur quoi se fonde-t-il pour lancer cette comparaison? En fait, les données actuelles sont très incertaines par construction, puisque, comme le martèlent les professionnels, seuls des puits d’exploration permettraient d’en avoir le cœur net. Voici six données pour se faire une opinion : GAZ DE SCHISTE • Les réserves de gaz de schiste dans le Sud Ouest sont évaluées à 5.100 milliards de mètres cubesDeux cas de figure distincts en France. D’abord, les gaz de schiste qui sont présents dans le Sud-Est. Le seul chiffre avancé provient d’un institut américain privé, l’US Energy Information Administration (USEIA), qui estime les réserves françaises à 5.100 milliards de mètres cubes. Un chiffre très impressionnant quand on sait qu’on a produit (et consommé) 3.300 milliards de mètres cubes de gaz dans toute la planète en 2011. C’est encore l’équivalent de 100 ans de consommation française de gaz, se sont empressés de souligner les partisans du gaz de schiste.• Seule une partie des réserves représente une production potentielle«Ces mises en équivalence sont fausses!», affirme Roland Vially, géologue à l’IFP-EN. «Ce serait vrai si on pouvait produire chaque goutte de cette quantité de gaz. Ce qui est loin d’être probable». Impossible en effet de quantifier la part de ces réserves qui pourrait être produite sans avoir foré de puits d’exploration au préalable. Certains experts estiment que 10% seulement de ces réserves seraient récupérables.Le cas de la Pologne illustre ces incertitudes. Ses réserves de gaz de schiste avaient été estimées par le même USEIA à 5.000 milliards de mètres cubes début 2011. Après quelques forages, l’institut polonais de géologie a indiqué début 2012 que la quantité techniquement récupérable se situait en fait entre 350 et 770 milliards de mètres cubes, soit 6 fois moins au mieux.• Les estimations sont issues de forages ... des années 50 et 60Mais d’où sort ce chiffre de 5,1 milliards de mètres cubes? comment a-t-il été calculé? L’institut américain s’est en fait servi des données issues des campagnes d’exploration qui ont eu lieu en France à partir de la fin des années 50. «A ce moment là, un travail systématique d’inventaire a été fait qui a abouti à la découverte du gaz de Lacq dans le bassin du sud ouest, au pétrole dans le Bassin parisien mais à rien dans le Bassin du Sud Ouest», explique Louis Vially. Trois puits ont été notamment forés dans l’Ariège. «Tous ces puits donnaient des indices de gaz dans les couches d’argiles. Des «venues de gaz», c’est-à-dire du gaz s’échappaient mais pendant quelques heures, quelques jours. A l’époque on ne savait pas aller plus loin» , ajoute le géologue.• Saint-Augustin observait déjà des \"fontaines ardentes\" attestant de la présence de ce gaz... au Ve siècle!On sait aujourd’hui que ce gaz est contenu dans des réservoirs non poreux et non perméables. Donc un peu de gaz s’échappait lorsque ces réservoirs étaient percés, mais c’est tout. Aujourd’hui pour récupérer ce gaz de schiste, on fracture ces roches avec un fluide à très haute pression comprenant de la boue ou des microparticules. Les « fontaines ardentes » dans l’Isère, notamment au Gua où un flamme d’un mètre de haut témoigne du gaz qui s’échappe, illustre la présence de ces gaz dans des roches mères. « Saint Augustin en parlait au Ve siècle. Ce qui montre le volume de la réserve », souligne Louis Vially.Puis l’USEIA a fait un calcul en évaluant la surface et l’épaisseur de ces couches d’argile qui datent de 180 millions d’années. Il a ensuite évalué les quantités de gaz présentes par mètres cubes. « Là on approche du pifomètre », souligne l’expert. Et il a enfin multiplié ces volumes par le taux de récupération (20%) en usage en moyenne aux Etats-Unis. Résultat : 5,1 milliards de mètres cubes.PETROLE DE SCHISTE• Plusieurs milliards de barils de pétrole de schiste : une estimation des réserves jugée fiableDeuxième cas de figure : le pétrole de schiste, présent en France dans le sous-sol du Bassin Parisien, à une profondeur moindre (2.500 mètres) que le gaz dans le Sud Ouest (4000 à 6000 mètres). Sous des couches de sédiments plus minces, la température est moins forte, donc on trouve du pétrole, moins « fossilisés » que le gaz. « Ici, les données sont plus nombreuses et plus sûres », explique Louis Vally . Elles proviennent des quelque 2.000 puits qui ont bel et bien été forés depuis les années 50 pour explorer et produire du pétrole. On extrait d’ailleurs encore du pétrole dans le Bassin Parisien (20.000 barils /jour, soit 1% de la consommation française, contre six fois plus en France en 1990, année record).• La France aurait 2,5 fois plus de réserves de pétrole de schiste que le Qatar n\'en possède de brutCes données (dont les résultats des campagnes sismiques retravaillées avec les moyens de traitement actuels) ont permis à l’opérateur Toreador Energy d’affirmer que le Bassin Parisien recélerait 65 milliards de barils, mais dont seule une infime fraction serait récupérable. Selon la compagnie, il s’agirait néanmoins de plusieurs milliards de barils, au minimum. La France a consommé 615 millions de barils en 2010. Si tous ces calculs ne sont pas trop erronés, \"plusieurs milliards de barils\" représenteraient donc plusieurs années de consommation française. A titre de comparaison, le Qatar (enfin !), plus petit pays producteur de l’OPEP car il produit surtout du gaz, posséderait quelque 25 milliards de barils de réserve de brut. En un an, la planète consomme 35 milliards de barils de pétrole.  
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