« Stress test » pétrolier pour le Ghana

En janvier 2009, le Ghana confirmait avec éclat son statut de « success story » démocratique africaine. Frontalier à la fois du Togo (des centaines de morts lors de la dernière élection présidentielle), du Burkina Faso (déjà vingt-trois ans de présidence pour Blaise Compaoré) et de la Côte d'Ivoire (plus que jamais en proie aux troubles depuis le scrutin de novembre), le pays votait à 50,23 % pour le candidat issu de l'opposition, John Atta-Mills. Les observateurs s'inquiétaient d'un score aussi serré... Mais la situation débouchait rapidement sur une impeccable alternance pacifique, la deuxième consécutive, saluée dans le monde entier.La jeune démocratie africaine s'apprête désormais à relever un autre défi, d'envergure : conjurer la « malédiction des ressources naturelles », cette tendance des pays pauvres à sombrer un peu plus encore à cause des richesses de leur sous-sol. C'est en effet ce mercredi 15 décembre que le grand champ pétrolier Jubilee commencera à produire ses premières huiles. Cette manne permettra-t-elle au Ghana, dont le PIB par habitant est du même ordre que celui du Bangladesh, de s'extraire de la grande pauvreté et d'enclencher un cercle vertueux ? Ou bien ce soudain afflux de capitaux viendra-t-il vicier sa pratique démocratique, infecter institutions politiques et circuits économiques, favoriser clanisme et clientélisme, diviser, en un mot corrompre ?Identifié en 2007, mis en production tambour battant, Jubilee représente une des plus importantes découvertes récentes réalisées en Afrique. Son opérateur, le britannique Tullow, estime ses réserves entre 1,2 et 1,8 milliard de barils, un niveau équivalent aux réserves prouvées de la Guinée Équatoriale, incarnation caricaturale de l'État pétrolier ubuesque. Le champ ghanéen doit d'abord produire 55.000 barils par jour et rapidement monter jusqu'à 120.000 barils d'ici trois à six mois. Le gouvernement estime que la production rapportera 405 millions de dollars de recettes en 2011, soit 6 % de ses revenus fiscaux. Cette manne devrait emmener le pays vers des taux de croissance à deux chiffres, la hausse étant prévue à plus de 12 % l'an prochain.Le potentiel pétrolier du pays est loin cependant de se limiter à Jubilee. Depuis cette découverte, révélée par la société indépendante texane Kosmos Energy, l'offshore ghanéen a réservé d'autres bonnes surprises à ses pionniers. Kosmos et Tullow ont identifié d'autres gisements non loin de Jubilee, et le russe Loukoïl aussi, un peu plus au large, dans une zone soudainement revendiquée par la Côte d'Ivoire... Avec ces découvertes, le Ghana estime qu'il pourrait produire 250.000 barils par jour d'ici à 2013, assez pour entrer dans le Top 50 des pays producteurs. Sans compter que le pays a été peu exploré jusqu'ici. « Seul le bassin de Tano est aujourd'hui actif en exploration-production, ce qui laisse pas mal d'opportunités pour d'autres découvertes », observe Stéphane Solé, responsable du Ghana au sein du groupe de services pétroliers français Technip, qui a mis au point certains équipements de Jubilee. « En offshore, les deux autres bassins de Salpond et d'Accra font actuellement l'objet d'études sismiques, en onshore la compagnie nationale GNPC [Ghana National Petroleum Corporation] collecte et analyse le bassin de la Volta », ajoute-t-il.La cohésion du pays se trouve déjà mise à l'épreuve alors que l'or noir n'a pas même encore commencé à couler. Le Parlement ghanéen vient ainsi de voter une loi, âprement débattue, autorisant le gouvernement à utiliser ses futurs revenus pétroliers comme garantie d'emprunts. Le vote fut très serré, selon une ligne strictement partisane.Mohamed Adam, spécialiste du pétrole au Ghana pour Publish What You Pay, une coalition d'ONG militant pour la transparence des revenus pétroliers, relève que « le résultat du vote montre que le pays est très divisé sur la question de la gestion des revenus pétroliers. Cette disposition n'est pas bonne car elle va accroître l'appétit du pays pour l'emprunt et le conduire à s'endetter lourdement, comme l'ont fait le Nigeria et l'Angola ». Mohamed Adam s'inquiète aussi des germes de division que porte la demande des populations de l'ouest du pays, les plus proches des zones de production, de bénéficier de 10 % des revenus pétroliers pour leur propre développement.Mais le Ghana possède également des atouts pour s'extraire par le haut de cet enjeu. Deuxième producteur d'or du continent, derrière l'Afrique du Sud, il est l'un des cinq seuls pays à avoir été déclaré « conforme » par l'EITI, l'initiative pour la transparence des industries extractives, portée par la Banque mondiale, les entreprises extractives et les ONG. Ce cachet récompense un reporting « fiable et précis » des revenus tirés de ces industries par l'État.En termes de corruption, le pays sort également par le haut de la comparaison avec ses pairs africains. Selon le classement de l'ONG Transparency International, seuls le Botswana, l'Afrique du Sud et la Namibie font mieux que le Ghana sur le continent. Toutefois, avec une note de 4,1, si le pays fait mieux que la Russie (2,1) ou le Brésil (3,7), il reste loin d'économies comme la France (6,8), les États-Unis (7,1) ou la Suède (9,2).Avec ses découvertes pétrolières, le Ghana s'est subitement retrouvé au carrefour de puissants intérêts géopolitiques. Ainsi lorsque Kosmos a souhaité vendre sa participation dans Jubilee à Exxon Mobil pour 4 milliards de dollars. Le Ghana, qui souhaitait la racheter lui-même, a bloqué la transaction, arguant qu'il n'en avait pas été informé. De guerre lasse, après plusieurs mois de bras de fer, Exxon Mobil et Kosmos ont renoncé à l'opération. Résultat : l'agence Standard and Poor's, inquiète de l'effet négatif de cet échange sur la perception des investisseurs, a dégradé la note du pays.La compagnie d'État ghanéenne, la GNPC, s'est ensuite associée à un autre géant, la chinoise CNOOC, pour tenter de racheter la part de Kosmos, sans succès. Une prise de participation de la compagnie norvégienne Statoil a également été évoquée. Mais Kosmos a finalement décidé de conserver sa participation et de continuer à développer et explorer le territoire ghanéen.Aujourd'hui, le Ghana tente de formaliser un cadre juridique pour l'exploitation des hydrocarbures. « Le projet de loi sur l'exploration-production a été retiré du Parlement, il n'existe pas encore de procédures d'enchères ouvertes et transparentes pour les licences ou de régulateur indépendant », observe Mohamed Adam. « Certains célébreront le premier baril mercredi, mais d'autres voient ce jour comme un appel à une vigilance accrue », ajoute-t-il.
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