Pourquoi les constructeurs auto français ne font-ils plus d'objets de désir ?

Que l\'on se souvienne du temps où la France sortait à l\'envie des automobiles aussi sympathiques qu\'innovantes, populaires ou haut de gamme et qui ravissaient leurs conducteurs : dans le désordre la DS, la 2CV, la 4CV, la 4L, et plus récemment les 205 GTI, Renault Twingo, Espace, la 206 CC coupé cabriolet. Quand les voisins allemands tirent leur épingle du jeu, comment expliquer ce déclin ? Ne serait-ce pas, en partie, parce que l\'industrie française a fait l\'impasse sur la désirabilité de cet objet identitaire ? Vouloir trouver à tout prix des raisons macroéconomiques, comme le font les dirigeants de PSA, à des difficultés sectorielles résultant de choix stratégiques spécifiques ne conduit-il pas, au fond, à une erreur de diagnostic, estiment ainsi certains experts du secteur ? Et pourtant. Quel meilleur moyen qu\'un modèle emblématique pour (re)donner à une marque une visibilité, du crédit, de la séduction...Impasse sur les fondamentaux du luxeLe rapport « CARS 21 », qui présente la feuille de route de la filière d\'ici à 2020, note que l\'automobile en France est pénalisée par des surcapacités de production et doit sortir du « statu quo », en précisant que, si les restructurations sont nécessaires, elles seront loin d\'être suffisantes pour restaurer la compétitivité de l\'industrie automobile française. Fermer Aulnay ne servirait donc pas à rétablir franchement un équilibre.Dans cette affaire, le bon sens marketing a été oublié. Qu\'est-ce qui fait vivre une entreprise de biens de consommation ? La vente de produits attractifs et de qualité. Pourtant à son arrivée en 2009, Philippe Varin, le patron de PSA, avait bien diagnostiqué qu\'il fallait monter en gamme pour améliorer les marges et sortir de la spirale de la baisse des prix fatale aux constructeurs généralistes. Faire de la voiture un objet plus luxueux, certes l\'idée semblait bonne du point de vue financier. Encore aurait-il fallu que celle-ci se concrétisât aux cotés des voitures les plus « sexy » du marché pour emporter l\'adhésion des conducteurs ! Mais les Français semblent avoir fait l\'impasse sur les fondamentaux de l\'industrie du luxe, à savoir susciter le désir et l\'émotion esthétique. Or acheter une voiture aujourd\'hui, qui plus est haut de gamme, ne relève plus seulement de la valeur d\'usage. La voiture reste -particulièrement en Europe et singulièrement en France- un signe identitaire qui en dit long sur son propriétaire. Pour preuve, même la Dacia, fabriquée en Roumanie à bas coût, au look improbable, séduit une petite frange de Bobos parisiens, qui veut afficher son mépris supposé de l\'automobile. On n\'achète plus une voiture aujourd\'hui comme hier. Objet désormais « peu raisonnable et cher », « encombrant et épuisant dans les embouteillages », dont beaucoup de citadins ont décidé de se séparer, elle continue de séduire... à condition qu\'elle apporte un petit « plus » de satisfaction. A commencer par le fait de se retrouver au volant d\'un signe extérieur de personnalité et d\'appartenance sociale.Succès du Néo-RetroIl suffit pour s\'en convaincre de noter les succès des modèles rétro évoquant des véhicules emblématiques d\'antan comme les Mini et Fiat 500. Le cas marketing de la Mini est à l\'automobile ce que Nespresso est au café. Une réussite à 100% où les déclinaisons de gamme et les services s\'enchaînent sans faillir, permettant de garder à la machine toute sa puissance de séduction. Quant à la Fiat 500, petite, ronde, et craquante, elle est le modèle le plus vendu chez Fiat auquel elle a redonné sa santé financière. La Mini relancée en 2001 par BMW et la Fiat 500 apparue en 2007 surfent sur la tendance du néo-rétro lancée par la New Beetle de Volkswagen, inspirée de la célèbre Coccinelle. Mais le paradoxe veut que ces charmants modèles, des autos populaires d\'entrée de gamme, s\'imposent aujourd\'hui comme des modèles « premium » et s\'adressent à une clientèle aisée . En les embourgeoisant, en les soignant comme de véritables petits bijoux - le tableau de bord de la Fiat 500 du même ton que la carrosserie multiplie les boutons façon bakélite et les chromes garnissent jusqu\'aux poignées de porte -, personnalisables à l\'envie, elles ont épousé tous les visages des consommateurs fortunés et de ceux prêts à casser leur tire-lire. Elles ont aussi joué la carte du grand luxe en s\'acoquinant avec Gucci ou Diesel à des prix délirants. Résultat des courses : la Fiat 500 domine le marché avec 900 000 unités vendues (dans le monde depuis les débuts) , dont près de 200.000 en 2011, une année historique grâce à... l\'Amérique du nord.. Car elle a même conquis les Etats-Unis ! Quant à la Mini, BMW (propriétaire de la marque) en a fabriqué 151.875 au premier semestre sur son site d\'Oxford outre-Manche, en hausse de 7 %. Il vient même d\'annoncer 300 millions d\'euros d\'investissements pour accroître le potentiel de production. Et il négocie une production complémentaire aux... Pays-Bas. Faute de place à Oxford.Un coup de génie ! BMW a compris avant tout le monde que le culte de l\'ego pouvait s\'incarner dans quatre roues, et l\'individu afficher ses goûts et ses couleurs en toute singularité - de la couleur du toit aux coques des rétroviseurs - en faisant partie d\'un club très select. Ou comment une petite voiture affublée d\'options, toutes plus attractives les unes que les autres, se vend au final plus cher qu\'une grosse berline....Les constructeurs Français incrédulesReste alors « La » question, maintes fois posée par les journalistes soucieux de comprendre les motivations des constructeurs français : pourquoi PSA et Renault ne ressortent-ils pas de leurs bureaux d\'études les carrosseries mythiques qui dorment dans les cartons ? Pourquoi ne daignent-ils pas emboîter le pas de leurs concurrents européens ? Tout simplement parce qu\'aucun des dirigeants n\'a « jamais cru » à cette stratégie de niche. Jacques Calvet, patron de PSA dans les années 80 et 90, répondait au sujet de la mythique DS : « trop chère à produire » ! Depuis la question à peine évoquée a été systématiquement éludée chez Renault tout comme chez PSA. Au lancement de la Mini chacun se gaussait, y allant de ses prédictions sur le flop retentissant, considérant ces modèles beaucoup trop chers eu égards aux canons habituels de l\'automobile (plus c\'est gros plus c\'est cher). Sans jamais oser redonner vie à l\'une de leurs étoiles, les Français ont tenté de s\'engouffrer dans la brèche du segment « premium », mais en tournant le dos résolument au « rétro », imaginant que les lignes dessinées par les ingénieurs d\'aujourd\'hui seraient plus aptes à séduire leurs contemporains. Gonflé, Citroën a même été jusqu\'à baptiser son petit modèle copié sur la Mini, « DS », histoire de faire un clin d\'œil à l\'histoire... Il a même axé sa publicité de la DS3 sur l\' « anti-rétro ». Une vraie provocation ! Un clin d\'œil un peu vulgaire au regard des amoureux de ce mythe croqué par Roland Barthes, mythe qui explose les compteurs dans les ventes aux enchères. Au dernier Salon Rétromobile cette année, une berline DS23 à injection a battu le record du monde de sa catégorie au prix de 187 000 euros, le prix d\'un cabriolet. Estimée entre 50 et 70 000 euros sans prix de réserve, cette voiture doit l\'envolée de son prix à une restauration exceptionnelle entre les mains du pape de la DS, Vincent Crescia, patron du Garage du Lac en Suisse. Là-bas, il faut compter trois ans d\'attente et 120 000 euros de restauration pour une « vraie » DS lambda. Enfin, autre record, une 2CV a trouvé preneur à 60 000 euros...Une version évidemment rarissime, américaine avec 116 miles au compteur d\'origine et propriété de Beverly Hills.Sans doute trop rationnels, à la fois trop ingénieurs et trop financiers, les constructeurs français semblent avoir oublié qu\'ils devaient produire avant tout de rutilants objets de désir et que, face à un coup de cœur pour seule motivation d\'achat, leurs plans à 5 ans ne pesaient pas bien lourd. Dommage ! Tout n\'est peut-être pas perdu. Carlos Tavares, directeur général délégué de Renault, songerait sérieusement à relancer la mythique berlinette Alpine des années 60, avec une carrosserie « rétro » inspirée de l\'original...  
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