Lundi 4 octobre. 11h00. Paris. Rue de Solférino...

Martine Aubry raccrocha le téléphone. Bernard Thibault, le leader de la CGT, venait de lui confirmer que la manifestation du 7 octobre contre la réforme des retraites risquait d'être explosive. Le défilé du 23 septembre avait déjà été émaillé d'incidents très violents. Le service d'ordre syndical avait été débordé par des petits groupes très organisés. Et les CRS et gendarmes mobiles déployés le long du parcours avaient sans nul doute attisé les braises. Bilan : deux blessés graves parmi les manifestants, une trentaine de voitures incendiées et une dizaine de magasins pillés.La première secrétaire du Parti socialiste avait gardé suffisamment de contacts dans les ministères pour savoir quand quelque chose se préparait. Et là c'était indéniable. La maire de Lille regarda Harlem Désir et Benoît Hamon, plongés dans la lecture des journaux sur le canapé confortable du bureau qu'elle avait fait réaménager quelques mois après son arrivée rue de Solférino. Murs blancs, bibliothèques blanches, grande table de travail, l'atmosphère était paisible. Mais Martine Aubry bouillonnait intérieurement. tous les ténorsElle avait convoqué pour le lendemain un bureau national exceptionnel. Tous les ténors du parti avaient été priés de se libérer pour l'occasion. Il s'agissait de montrer face aux caméras et aux objectifs des photographes que les socialistes étaient « unis et rassemblés face à un état de crise ». Même François Hollande, l'ennemi juré de Martine Aubry, avait promis d'être « au rendez-vous de la responsabilité ». La patronne du parti gardait en mémoire l'attitude ambiguë de François Mitterrand pendant les événements de Mai 68. Le futur leader de la gauche avait paru davantage animé par sa soif de pouvoir que par une quelconque empathie avec les émeutiers. Si les choses devaient mal tourner, comment devrait-elle se comporter ? Après tout, n'en déplaise à tous les « éléphants » socialistes, c'était elle qui était en position d'incarner l'alternative si le pouvoir actuel venait à basculer. « Je n'avais pas signé pour ça », soupira-t-elle à voix haute. Sur l'écran de son téléphone portable, un « sms » envoyé par Dominique Strauss-Kahn la fit grimacer. « Bon courage ma grande. Je te jure que c'est vrai : je n'aimerais pas être à ta place ». Le message était accompagné d'un « smiley » avec des lunettes de soleil. à l'arme lourdeBenoît Hamon et Harlem Désir se levèrent pour aller rencontrer les journalistes conviés au point de presse hebdomadaire au rez-de-chaussée. Martine Aubry sentait monter une petite migraine. Elle devait déjeuner avec Ségolène Royal. Même si leurs relations s'étaient considérablement « normalisées », selon un vocabulaire qui fleurait bon le stalinisme, les rencontres entre les « deux dames » du PS restaient plus protocolaires qu'amicales. La veille, l'ex-candidate de 2007 avait tiré à boulets rouges, et même écarlates, sur Nicolas Sarkozy, qu'elle avait comparé à Adolphe Thiers, le « bourreau sanguinaire » de la Commune de Paris. « N'est pas Louise Michel qui veut », avait aussitôt répliqué Jean-Pierre Raffarin, qui poursuivait Ségolène Royal de sa vindicte depuis les élections régionales de 2004. Frédéric Lefebvre et Dominique Paillé, porteurs de la parole - et des flingues - de l'UMP, avaient menacé la présidente de Poitou-Charentes des foudres de la justice et tenté un vague jeu de mots sur le fait qu'elle allait « tomber par terre, la faute à la promotion Voltaire » de l'Ena, dont elle était issue. Mais Ségolène Royal faisait ce matin la une de tous les journaux radio et télé. Une fois de plus, elle avait atteint son but. Martine Aubry sourit malgré elle. Après tout, si Ségolène voulait le job...
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