Du Yukon à Terre-Neuve, 8.298 km de francophonie

«Quand j'étais petit, ma mère me disait de cacher les livres en français?», raconte Michel Dubé, qui vient juste de quitter ses fonctions de président de l'Assemblée communautaire fransaskoise, pour mieux se consacrer à son troupeau de bisons. Aujourd'hui, les «?parlants français?», comme on les appelle ici, ne représentent que 2 à 4?% de la population, contre 50?% en 1800. Et ils ne revendiquent pas de bénéficier, comme dans d'autres provinces, des services en français. Encore moins d'obtenir un jour que la Saskatchewan soit officiellement déclarée bilingue. D'autant que les «?premières nations?» représentent, elles, encore 16?% de la population, et parlent le cri, le dakota, l'ojibwé. Difficile, en fait, de démêler les fils de l'Histoire. Comme ailleurs en Amérique du Nord, ce sont les Amérindiens qui ont permis aux coureurs des bois et aux trappeurs, souvent francophones, de survivre, au début du xviiie?siècle. De camps temporaires en villages permanents, de traités en liens commerciaux, d'amours en mariages, un peuple est né, les Métis, avec leur langue, le mitchif, mélange de vocables locaux et de français. Ils auraient pu vivre tranquilles, mais les Métis ont vite compris qu'ils souffraient d'un double handicap, celui d'être indiens et francophones dans un univers de plus en plus aux mains des anglophones, sans oublier le fait qu'ils s'étaient convertis au catholicisme. «?Dans les années 1930, le Ku Klux Klan a brûlé des croix dans les villages,?» raconte Michel Dubé sans s'étendre sur les autres exactions. Le peuple métis a la mémoire longue. Il se souvient aussi de son héros, Louis Riel, qui a lutté pour leur cause et leurs terres, des terres fertiles le long de la rivière Rouge, et a été pour cela pendu à Regina en un méchant matin de novembre?1885. Certes, l'histoire a été depuis revisitée, au point que les élus ont offert, dans les années 1990 seulement, un pardon officiel que les Métis ont refusé?: l'accepter aurait signifié qu'ils reconnaissaient la culpabilité de Louis Riel... Aujourd'hui, c'est un nouveau métissage qui fleurit dans la province. D'abord parce qu'ici comme ailleurs au Canada, il faut trouver de la main-d'oeuvre, dans une économie en plein boom?: agriculture, potasse, pétrole créent des emplois à tour de bras. Et ensuite, parce que, avec la mondialisation, «?les parents veulent maintenant que leurs enfants parlent une deuxième langue?», déclare June Draude, la ministre provinciale des Affaires francophones. Autant que ce soit le français, puisqu'il fait partie de l'héritage. Si elle ne parle pas un traître mot de notre langue, elle encourage ses équipes à aller chercher des candidats à l'immigration francophones. Là où ils se trouvent?: à l'île Maurice, au Mali, au Sénégal, en Côte d'Ivoire. Et tous ces immigrants disent la même chose?: le français fait partie de leur culture, de leur identité, même si, comme Abdoulaye Yoh, qui vient de Côte d'Ivoire, ils emmènent religieusement leurs enfants faire du patin à glace et du hockey. «?Il faut qu'ils puissent parler à leur grand-mère quand ils vont en vacances au pays?», dit-il. Certains ont étudié en France. Mais n'y sont pas restés. «?Ici, les choses sont claires, c'est l'immigration qualifiée qui est la règle, pas ce concept vague d'immigration choisie?», remarque Abdoulaye Yoh, directeur adjoint de l'administration et des finances à l'université de Regina, pour ajouter?: «?J'aurais pu contribuer à l'économie française.?» La mondialisation à la mode canadienne en a décidé autrement.
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