Derrière les mots de... Barack Obama

STRONG>François Durpaire, chercheur au Centre de recherches d'histoire nord-américaine : «Cette crise permet à Barack Obama de revenir à ses fondamentaux de campagne» Barack Obama ne cesse de donner de l'importance à cette catastrophe : elle est présentée comme la crise la plus importante de son mandat. C'est le sens qu'il faut donner à la multiplication de ses attaques directes contre le groupe, à l'emploi de l'expression « 11 septembre écologique », en prélude à son discours de mardi dernier, depuis son bureau ovale. Pour le président des Etats-Unis, l'enjeu est triple. Tout d'abord, cette marée noire lui permet de réaffirmer les fondamentaux de sa politique, exprimés lors de sa campagne présidentielle et quelque peu émoussés par un début de mandat difficile. Obama a été élu pour redonner toute sa force à l'action politique dans un contexte de débâcle financière et de remise en cause de la toute-puissance des marchés. Le message était clair : la politique doit exister et ce n'est plus aux marchés de décider pour l'avenir du pays. Et ce message passe bien dans une opinion aux deux tiers hostiles aux banques et désormais aux compagnies pétrolières. Du jamais-vu aux Etats-Unis ! Ensuite, cette crise lui permet de consolider le rôle de l'Etat fédéral, également un axe fort de sa campagne. Barack Obama entend réussir en Louisiane là où George Bush avait échoué lors de l'ouragan Katrina. C'est également une occasion pour lui de faire adopter plus facilement sa loi sur l'énergie et le climat au Sénat. Ce qui lui permettrait d'afficher deux réformes majeures à son palmarès. Enfin, à quelques mois des élections de mi-mandat, le président a tout intérêt à affirmer clairement sa position vis-à-vis de son électorat « de gauche ». Ses attaques contre l'irresponsabilité présumée de BP y participent. Michel Derdevet, maître de conférences à Sciences po Paris : «C'est toute l'industrie pétrolière qui est dans le collimateur» Le président des Etats-Unis n'est pas un ami de l'industrie pétrolière. Chacun se souvient de sa profession de foi lors de l'élection présidentielle : « La tyrannie du pétrole doit prendre fin. » Et les démocrates avaient déjà réussi dès 2007 à supprimer des allégements fiscaux en faveur de l'industrie à hauteur de 14 milliards de dollars. Les deux camps sont pourtant d'accord sur l'objectif : réduire la dépendance des Etats-Unis aux importations de pétrole, qui représentent 70 % de ses besoins contre seulement 42 % en 1980. Mais les moyens pour y parvenir sont totalement opposés. Les républicains tablent sur une relance - illusoire - de la production nationale, qui a chuté de moitié en trente ans, notamment en offshore et en Alaska. Les démocrates parient sur l'efficacité énergétique, les quotas de CO2 et les énergies renouvelables, y compris le nucléaire. Mais, dans ses difficiles négociations avec le Congrès, Barack Obama a dû lâcher du lest aux républicains en acceptant une plus grande souplesse dans les autorisations d'exploration offshore... quelques semaines avant l'accident. Dès lors, l'administration Obama, après un certain flottement, a saisi l'occasion de relancer ses arguments de campagne sur la question énergétique en prenant en ligne de mire BP, d'autant plus facilement que la compagnie est étrangère. Mais personne n'est dupe, derrière les propos très durs contre le PDG de BP, c'est toute l'industrie pétrolière qui est visée. Avec, à la clé, un autre paquet de suppressions d'avantages fiscaux prévus d'un montant de 31 milliards de dollars sur dix ans. Philippe Copinschi, enseignant à Sciences po Paris : «BP n'échappera pas, comme l'ensemble de l'industrie, à une réflexion sur sa responsabilité sociale»Le président des États-Unis exprime surtout son désarroi et son impuissance face à la marée noire. De fait, personne, notamment dans l'industrie pétrolière, n'avait prévu une telle catastrophe et il n'existe pas encore de solutions techniques pour colmater une brèche aussi importante à une telle profondeur. Il est certain que le groupe BP fait tout ce qui est en son pouvoir pour trouver des solutions mais les résultats restent à ce jour mitigés. Et Barack Obama ne peut finalement que se retourner contre les dirigeants de BP pour tenter de calmer une opinion publique sous pression. Mais cela reste de la rhétorique, et BP le sait très bien. En revanche, si les autorités américaines peuvent prouver que la compagnie pétrolière a délibérément sous-estimé les conséquences de l'accident en termes de pollution, elles seront alors impitoyables sur le plan pénal et civil. En attendant, BP tente de restaurer son image et n'échappera pas, comme l'ensemble de l'industrie, à une réflexion sur sa responsabilité sociale. Paradoxalement, BP a été, avec Shell, l'une des premières compagnies pétrolières à s'engager dans les années 1990 dans une logique de responsabilité sociale en se fixant des normes internes plus contraignantes que les normes légales, en menant des initiatives sur la transparence et la lutte contre la corruption, notamment en Afrique, et en tenant un discours iconoclaste pour la profession en faveur des énergies renouvelables. Mais le principe de réalité s'est vite imposé et ces dernières années, le groupe est revenu à un « business as usual » dans une logique beaucoup plus financière.
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