L'incohérence du tarif administré de l'électricité

À peu de temps d'intervalle, le gouvernement a décidé de lancer un audit de sûreté du parc nucléaire et de geler les augmentations du prix du kilowattheure. Ces deux mesures, politiquement séduisantes, sont-elles économiquement compatibles ? L'accident de Fukushima conduit les gouvernements, les autorités nucléaires et les exploitants à s'interroger de nouveau sur la sûreté des centrales nucléaires. Les marges de sécurité face aux séismes et aux inondations sont-elles suffisantes ? Comment éviter les défaillances des générateurs de secours en cas de panne électrique du réseau ? Aucun doute qu'il faille répondre à ces questions ainsi qu'à beaucoup d'autres. Un audit des réacteurs est une mesure raisonnable et justifiée. Il est évidemment trop tôt pour se prononcer sur ses conséquences. Impossible donc de connaître de façon précise les dépenses qu'il faudra consentir demain pour renforcer la sûreté. Interrogé récemment, le directeur de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire estime qu'elles seront « forcément élevées ». La Deutsche Bank avance le chiffre de 6 milliards d'euros tandis que les analystes financiers d'UBS estiment le surcoût de sûreté à 20 % des dépenses programmées avant Fukushima.L'augmentation du prix de l'énergie pour les ménages et les entreprises est tirée par la flambée du prix du pétrole. Une partie des approvisionnements en gaz est indexée sur le prix du baril. Le gaz servant aussi à produire de l'électricité, les marchés de l'électricité sont eux-mêmes affectés. À court terme, la hausse du prix de l'énergie risque de freiner la reprise de la croissance tant espérée. De plus, d'un point de vue social, elle touche durement les ménages modestes car ils consacrent une plus grande proportion de leur budget aux dépenses d'énergie. La facture d'électricité représente 6 % des revenus pour les 20 % de la population la moins bien lotie, soit trois fois plus que pour les 20 % des ménages les plus riches. Ces conséquences justifient la recherche de solutions raisonnables. Le gel des tarifs publics de l'énergie en fait partie s'il est provisoire et exceptionnel. Il doit être provisoire car tous les signes tendent vers des coûts futurs de l'énergie de plus en plus élevés. La raréfaction du pétrole, la demande croissante de l'Asie, la prise en compte d'un prix du carbone, le développement des énergies renouvelables tendent vers un monde de l'énergie durablement cher. Repousser une hausse des tarifs administrés de l'électricité et du gaz s'inscrit contre cette tendance. Il importe pourtant d'y préparer dès maintenant les ménages, les entreprises et l'économie française dans son ensemble.Le gel des tarifs doit être exceptionnel sinon il dissuade les entreprises d'investir. La production d'énergie mobilise des investissements colossaux qui nécessitent plusieurs dizaines d'années pour être recouvrés par les opérateurs. Par exemple, la construction d'un réacteur nucléaire de 1.000 MW se chiffre autour de 2 milliards d'euros. Lorsque leurs recettes dépendent de tarifs fixés par le gouvernement, les tarifs doivent refléter les coûts économiques et la puissance publique doit fournir un cadre de régulation stable et tenir ses engagements. Si le gouvernement ne se lie pas les mains par des formules d'indexation des tarifs ou des lois stables les régissant, les producteurs sont à la merci de décisions politiques opportunistes. Et les entreprises soumises aux tarifs réduisent alors leurs efforts d'investissements.Malheureusement, la France tourne le dos à ces principes. Les gouvernements successifs freinent depuis des années l'alignement des tarifs aux coûts économiques. Les augmentations proposées par le régulateur ne sont acceptées qu'en partie. Les formules d'indexation des tarifs de gaz sont changées dès que les résultats des calculs déplaisent. Les lois sur l'électricité se font et se défont au rythme moyen d'une tous les deux ans. Depuis quinze ans, les tarifs de l'électricité baissent en monnaie constante tandis que les coûts augmentent. Chaque hausse repoussée rend la suivante plus difficile. Elle doit être plus forte à cause du rattrapage nécessaire. L'écart entre les tarifs et les coûts s'accroît.L'augmentation prévisible des dépenses de sûreté nucléaire donnait l'occasion de sortir de cette mécanique infernale. Les consommateurs d'électricité sont sans doute aujourd'hui plus conscients des risques liés à la production nucléaire que de ceux apportés par le changement climatique et les transformations géopolitiques. En tout état de cause, ils s'y ajoutent et rendent plus évidente la priorité du long terme de la politique de l'énergie. Dans ces conditions, continuer de privilégier la recherche de tarifs bas de l'électricité déconnectés des coûts futurs n'est pas une solution raisonnable.(*) Éditeur de energypolicyblog.com
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