Un voyage d'anthropologue dans le monde de l'argent

Paul Jorion est une sorte d'ovni dans le monde de l'économie. Il n'appartient pas à l'establishment universitaire, il porte une voix différente, il revendique un statut d'anthropologue égaré dans la finance. Et ça marche. L'un de ses livres ? « la Crise du capitalisme américain » ? récemment réédité fait aujourd'hui référence. Son blog (www.pauljorion.com/blog) sur les riches heures de la faillite du système financier international est devenu incontournable et draine un cortège incroyable de commentateurs passionnés. Quitte à saturer le serveur suite à un passage à France Culture. Car Paul Jorion, chercheur sans emploi « exil頻 en France, est devenu la coqueluche des médias. Pensez, quelle aubaine, enfin un « économiste » qui « parle » aux gens ! Écrivain prolixe, ce nouveau philosophe de la crise apporte sa pierre à la compréhension d'un monde qui court selon lui à sa perte, à l'explication ? c'est ce qui fait son originalité ? des facteurs anthropologiques qui rendent possible un tel aveuglement. Son dernier opus, « l'Argent, mode d'emploi », s'inscrit certes dans cette même logique, mais il constitue un ouvrage vraiment à part dans la littérature économique, qui renvoie aussi au titre du livre de Claude Guillon et d'Yves le Bonniec, « Suicide, mode d'emploi », peut-être celui de notre société.Son propos ? Parler de l'argent comme un explorateur aurait pu parler d'un rite secret mis à jour au détour d'une vallée perdue. On oublie tout (ou presque) ce qui a été écrit sur le sujet, on oublie les textes fondateurs, et on réinitialise le logiciel de la pensée pour approcher un bien si usuel mais si méconnu. Il ne faut pas confondre ce livre avec une nouvelle édition de la série « Pour les nuls », c'est un essai sur l'argent par et pour ceux qui n'en ont pas. L'idée du livre est d'ailleurs née de dialogues nourris et enflammés sur le blog de l'auteur en pleine tempête financière.Du distributeur automatique de billets aux méandres de la finance internationale, en passant par la nouvelle dictature du taux d'intérêt qui rend les riches plus riches et les pauvres plus endettés, c'est bien un regard neuf et méticuleux qui est porté sur la circulation de l'argent (à ne pas confondre avec la monnaie). C'est aussi une mise en perspective de la nature de l'argent, de ses fonctions, de ses dérives. Parmi ces dernières, celle de l'amalgame ? soigneusement entretenu ? fait entre argent et dette est particulièrement convaincante. À partir du moment où les agents économiques considèrent la dette comme de l'argent frais, la « chaîne de Ponzi », ce type d'escroquerie rendu célèbre par Bernard Madoff, n'est plus très loin? Et quand le pot aux roses est découvert, et les victimes ruinées, l'État est toujours là pour créer de nouvelles dettes pour rembourser les anciennes. Le propos tourne alors en un réquisitoire implacable de notre système monétaire. Bien entendu, les économistes professionnels ne manqueront pas de souligner le manque de fond théorique. Mais c'est ce qui fait justement l'originalité et l'intérêt du livre. Il permet de comprendre des mécanismes complexes et surtout de réfléchir, de se poser des questions sur des sujets trop longtemps laissés à la seule discrétion des experts. En filigrane, « L'Argent, mode d'emploi » se réclame aussi du manifeste, celui de la réappropriation de la « chose » économique par les citoyens. Éric Benhamou« L'Argent, mode d'emploi », Fayard, 400 pages, 20 euros.
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