« Il faut faire passer l'homme avant le fric »

Vos interventions publiques sont très rares, pourquoi avez-vous accepté de participer au World Forum Lille ?La première raison est que Philippe Vasseur, le fondateur et l'animateur du Forum, me l'a demandé avec insistance. La seconde raison est que je veux combattre la méfiance qui existe vis-à-vis des entreprises familiales. Il est bon de montrer que pendant cinquante ans, on applique la même loi de la réussite et que ça marche. Je voudrais que d'autres suivent notre exemple.Le comportement responsable des entreprises peut-il combler le fossé qui s'est creusé avec le public ?En général, les entreprises ont un comportement responsable. Ne croyez pas qu'une entreprise se sépare de gaieté de c?ur d'un salarié, par exemple. Mais il est certain que plus il y a d'écart de connaissance ou de distance, entre les actionnaires et ceux qui font le travail, plus il y a de risques de dérive. Le patron qui fait le tour de son usine tous les jours n'a pas ce problème de méconnaissance. Alors que celui qui est en haut de sa tour à New York? D'un autre côté, le manque de formation à l'économie de beaucoup de gens est aussi en cause. Combien confondent le chiffre d'affaires avec le bénéfice, par exemple. Tout le monde devrait terminer sa scolarité avec une éducation économique minimum et la connaissance de notions de base comme le bénéfice avant impôt, le compte d'exploitation, l'amortissement, etc.La crise a tout de même révélé des excès. Comment y remédier ?Il faut faire passer l'homme avant le fric. Un certain nombre d'abus ont été commis, car on a fait passer le fric avant l'homme. Je prône le retour à une certaine éthique et à une éthique certaine. Je constate que l'encyclique du Pape est parfaitement adaptée à cette situation, car elle dit que l'argent n'est pas un but en soi.C'est donc une sorte de morale économique que vous voulez rétablir, y compris dans le secteur bancaire ?Un banquier qui prête de l'argent à une entreprise lui apporte un grand service. Le métier de banquier, c'est celui-là. Le banquier qui joue avec l'argent en faisant de la spéculation sort de son métier, même s'il le fait au nom de ses clients. Ceci dit, on est tous coresponsables de ce qui s'est passé en demandant aux entreprises une croissance démesurée de leur valeur. Il est très difficile pour une grande entreprise d'avoir un taux de croissance annuelle de 10 %. En rythme normal, la croissance pour une entreprise s'établit plutôt à 6 % ou 7 %.Les exigences en termes de rentabilité pour les entreprises cotées étaient de 15 %, voire plus, avant la crise. Cela vous semble déraisonnable d'y revenir ?C'est impossible d'avoir 15 % ou 20 % de rentabilité de manière durable. 15 % par an signifie que vous doublez la taille de l'entreprise en cinq ans, c'est de la folie ! On ne peut le faire que lorsque l'entreprise est petite et encore, sur une courte période. Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre.On a beaucoup dit que certaines rémunérations de dirigeants et des traders étaient « pousse-au-crime » en la matière, qu'en pensez-vous ?Un dirigeant qui est payé 200 fois de plus que le salarié de base est quelqu'un qui n'a pas de bon sens. Il n'y a aucune raison que ce dirigeant soit payé de façon démesurée. Gagner de l'argent sans apporter de valeur ajoutée comme un trader, j'appelle ça du vol. Le gouvernement aurait pu intervenir pour interdire les excès. Dans ma famille, il y a cinquante ans, la rémunération du patron était équivalente à 20 fois le salaire minimum du secteur textile. Nous sommes restés à peu près dans les mêmes proportions aujourd'hui pour la rémunération des directeurs généraux.Que faut-il faire dans l'avenir pour éviter une crise comme celle que nous connaissons ?On devrait mettre les traders sous le boisseau et mettre les gens qui travaillent en vitrine. Soit nous laissons faire les grands prédateurs, soit nous changeons toutes nos références sur ce qui est bien et ce qui est mal.Propos recueilis par Séverine Sollier, à Lille
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