Bataille des fréquences télécoms contre TV : le plan du gouvernement pour faire passer la pilule

« C\'est sans appel. La décision de principe a été prise par le président de la République lui-même lors d\'un conseil de Défense le 10 avril dernier. » Voilà ce que se sont entendu dire les opérateurs télécoms, convoqués à Bercy un par un au sujet du projet de leur affecter les fréquences de la bande 700 Mhz, utilisées actuellement par les chaines de télévision. Cette décision, prise sans consultation, « en chambre » de manière « un peu cavalière », comme le reconnaît une des parties prenantes, entre l\'Elysée, Matignon, les ministères de la Défense et Bercy, a tout de suite provoqué des réactions ulcérées. Du côté des acteurs de la télévision, sur le mode « ce serait suicidaire pour l\'hertzien et affaiblirait la TNT » dixit Alan Weill (BFMTV), mais aussi de celui des télécoms, qui ont déboursé 3,6 milliards d\'euros en 2011 et 2012 pour les fréquences 4G et mettent en avant leurs finances exsangues après le tsunami Free Mobile. « On a besoin d\'une perfusion et on vient nous faire une prise de sang !» réagit un dirigeant de Bouygues Telecom. Solution jugée indispensable pour combler le trou du budget de la Défense, cette redistribution de fréquences, une idée venue du cabinet de Le Drian, portée ensuite par Fleur Pellerin, sera mise en œuvre dans les meilleurs délais. Sans doute pas l\'année prochaine mais l\'année suivante.« Générer des recettes pour l\'Etat le plus vite possible, fin 2014, début 2015 »Selon nos informations, à l\'issue de cette réunion interministérielle, le chef de l\'Etat a demandé au Conseil supérieur de l\'audiovisuel (CSA) et à l\'Autorité de régulation des télécoms (Arcep) de mener les consultations nécessaires afin de procéder à cette affectation des fréquences 700 Mhz aux télécommunications, dans le but explicite de « générer des recettes pour l\'Etat le plus rapidement possible, fin 2014, début 2015. » Un opérateur raconte, agacé : « le cabinet de Fleur Pellerin nous a convoqués en mai pour nous dire qu\'il faudrait payer en 2014 pour des fréquences attribuées seulement en 2017-2018!» Cependant, les pouvoirs publics sont visiblement réalistes sur la tenue d\'un calendrier aussi serré. « Personne ne croit au scénario d\'une attribution dès 2014, la probabilité est de 5% au mieux », estime une source gouvernementale. Sauf « obstacle radical », tout est mis en œuvre néanmoins pour une bascule rapide, nécessaire du fait de l\'urgence à la Défense et de l\'explosion des usages mobiles, et éviter un report à la fin des années 2010.Le scénario central, sur lequel travaille le gouvernement, qui doit arrêter un calendrier début septembre, avant de boucler le projet de loi de finances 2014, est celui d\'un lancement formel assez rapide de la procédure en vue d\'une attribution en novembre-décembre 2015. Ce qui coïnciderait avec la Conférence mondiale des radiofréquences (CMR2015) qui définira elle-même un horizon de basculement de ces fréquences pour toute la zone Europe-Afrique.Un prix qui ne soit pas dissuasif et un étalement du paiement En attendant, Bercy et le ministère de la Culture et de la Communication ont eux-mêmes entamé un « cycle de consultations » des acteurs, des télécoms pour l\'un et de l\'audiovisuel pour l\'autre, qui va durer tout l\'été. Il s\'agit notamment d\'arriver à « évaluer l\'appétence des opérateurs télécoms » et le risque que tous les lots de fréquences ne trouvent pas preneur, si le prix est trop élevé. Il faudra en effet établir un « prix de réserve », le montant minimum fixé dans le processus d\'enchères, qui ne soit pas trop dissuasif. Un opérateur redoute que ce soit « au minimum le prix de réserve des fréquences 800Mhz », soit 1,8 milliard d\'euros, la vente ayant rapporté in fine 2,6 milliards. Le chiffrage dépendra aussi de la quantité de fréquences utiles valorisables, en laissant des bandes de garde contre les interférences. Pour faire passer la pilule, Bercy envisage un étalement du paiement, par tranches, par exemple de 2015 à 2019, pour se caler sur le budget de la Défense dans la loi de programmation militaire, avec un premier versement puis des redevances annuelles : un dispositif adopté pour les licences GSM et la réutilisation des fréquences 1800 Mhz, plus indolore qu\'un montant à régler comptant, comme ce fut le cas pour les fréquences 4G. Si Orange et Free sont partants, le directeur général d\'Iliad, la maison-mère de Free, ayant parlé d\'un « ardent besoin de fréquences », SFR et Bouygues le sont beaucoup moins. « On en veut, mais pas tout de suite » avait déclaré Didier Casas, le secrétaire général de Bouygues Telecom lors du lancement de la 4G à Strasbourg le 6 juin dernier. «Ils ne peuvent laisser Free et Orange tout rafler, ils iront » parie-t-on au gouvernement.Ire de l\'audiovisuel, bataille de normes pour le passage en HD Il faudra aussi calmer l\'ire du camp de l\'audiovisuel, vent debout contre ce deuxième « dividende numérique » (ressources libérées par le passage de la TV de l\'analogique au numérique). Le scénario concocté par l\'équipe de Fleur Pellerin et l\'agence des fréquences garantirait le passage de toutes les chaînes de la TNT en haute définition en deux étapes (2015 et 2023) avec la norme de compression vidéo DVBT2/HEVC, le successeur du Mpeg 4 (cette évolution permet de transmettre davantage d\'information dans des \"tuyaux\" moins larges et donc de libérer de la bande passante). L\'argument : « basculer toutes les chaînes en HD en Mpeg 4 ne serait pas la solution la plus pérenne sur le plan industriel, car il faut 7 ou 8 ans pour faire migrer le parc de téléviseurs » selon un spécialiste de ce sujet très technique. Le CSA, notamment par la voix d\'un des membres du collège, Emmanuel Gabla, a déjà fait valoir que « trois ou quatre ans étaient un calendrier trop rapide. » Mais le directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault, Christophe Chantepy, aurait signifié très clairement à Olivier Schrameck, le nouveau président du CSA, que la décision était prise, au plus haut niveau. En attendant la manne des télécoms, il est envisagé pour combler les 1,8 milliard d\'euros manquant au budget de la Défense en 2014 que le programme d\'investissements d\'avenir (PIA) vienne à la rescousse. Sans oublier les cessions de blocs de participations de l\'Etat dans certaines entreprises publiques (EDF, GDF Suez etc).  
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