D'Istanbul à Rio, partout le temps est à l'invention politique

Après la Turquie, c\'est le Brésil, une autre star de l\'émergence économique, qui voit sa population rejoindre dans la rue celles d\'Europe centrale, Russie, Israël, du Monde Arabe, USA, Grèce, Chine, Espagne, Chili, de France aussi, ... La liste des géographies des mouvements ne cesse de s\'allonger. Les mêmes images de places et de rues en feu, et partout des forces de l\'ordre, exprimant activement leur rôle, bombes lacrymogènes, manifestants repoussés sans ménagement, des blessés, des interpellés ... La fronde civile et citoyenne se généralise, se radicalise aussi. La société civile plonge dans l\'activisme. Loin de la dépolitisation que certains annonçaient ou espéraient, la protestation se globalise et emprunte des voies communes. Fuite dans la nostalgie d\'un passé meilleur, défense d\'équilibres politiques, sociétaux et identitaires, cris de rage pour un partage équitable du gâteau économique, ... partout les citoyens se mobilisent, en masse, hors des cadres de mouvements politiques, syndicaux, mais aussi de groupes de pressions organisés.Un déni de confiance Partout domine aussi l\'expérience concrète d\'une insécurité qui désormais touche toutes les zones de la vie personnelle et de l\'expérience collective. Chômage, pouvoir d\'achat, droit du travail, libertés individuelles et collectives, ... l\'espérance de lendemains qui chantent s\'efface. Les demandes répétées à l\'usure ne reçoivent pas de réponses réelles. Les politiques de tous les pays font face à un déni de confiance généralisé très au delà des régimes les moins démocratiques. Et que dire des autorités et des élites du marché ou de l\'économie ! Entre cynisme des uns et réalisme des autres, là, la défiance est totale. Même le Football et son expression nationale et identitaire la Selecao ne réunissent plus personne dans une pause sociale au Brésil. FMI, BCE, Banque Mondiale ... des organisations à distance citoyenne abyssale et sans légitimité politique directe semblent tout décider avec le marché et la finance. Et pour les sociétés civiles la messe est dite, la crise va se poursuivre. L\'avenir, sans défense, s\'obscurcit.Les modèles démocratiques dynamitésOn peut qualifier d\'« adhocratie », ce qui se déroule sous nos yeux et sur nos places et nos rues. La crise économique mondiale et la popularisation de l\'Internet, en particulier mobile, 4,5 milliards d\'êtres humains auront un smartphone en 2018, dynamitent les modèles démocratiques et a fortiori totalitaires qui semblent ignorer ou apparaissent dépassés par la complexification et l\'élargissement de l\'espace public digitalisé. Je le redis dans ces colonnes, le concept d\'adhocratie a été créé en 1964 par les chercheurs Warren G. Bennis et Philip E. Slater pour essayer de décrire un nouveau modèle d\'organisation flexible, intuitive et innovante. Le concept fut mûri par Henry Mintzberg et des penseurs comme Alvin Toffler. Dans notre millénaire, l\'adhocratie est moins une organisation qu\'une feuille de route, un état d\'esprit ou un nouveau cadre pour penser la coexistence les antinomies contemporaines. Son paradigme se confond avec l\'horizontalité des réseaux. Elle fonctionne dans une désintermédiation presque totale. Elle profite d\'une décentralisation des moyens de création et d\'action politique, de communication aussi. Elle cohabite avec la disparition progressive de l\'influence des intermédiaires : médias verticaux, partis politiques, syndicats ...\"Le pouvoir, un lieu vide, corrompu, sans espoir...\"Les mouvements que nous observons ne s\'inscrivent pas dans la tradition d\'un axe droite-gauche. Les ruptures exprimées ne suivent pas les lignes de séparation des échiquiers politiques ou sociaux. On intègre, on réunit des différences, parfois très puissamment opposées. Recep Tayyip Erdoğan, Dilma Roussef et les autres comme Barack Obama, Vladimir Poutine ou encore François Hollande ne semblent pas l\'avoir compris de la même manière.Il est temps de faire évoluer nos gouvernances. A nouvelle ère économique nouvelle ère institutionnelle et politique, j\'ajouterai citoyenne. Cette société émerge au cœur des incertitudes radicales et des vérités politiques faibles.Pas la participation, mais des démocraties juste augmentées dans la certitude que la victoire électorale n\'autorise pas tout désormais sans discussion citoyenne approfondie. La nouvelle gouvernance doit écouter, écouter encore et toujours la voix des citoyens et surtout ralentir le temps électoral, médiatique et financier pour garantir le succès du projet collectif.Baudrillard l\'écrivait en 1995, dans un texte visionnaire : « les ilotes et les élites ». « Dans cette fracture entre la société civile et la sphère politique, entre les ilotes et les élites, il est vain et ridicule de déplorer la stupidité des masses « aveugles » : elles voient mieux que les intellectuels « éclairés », que le pouvoir est un lieu vide, corrompu, sans espoir ... »Tous les signaux sont au rouge, chez nous aussi, le temps est à l\'invention politique. Et vite !
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