« Nous vivons un rééquilibrage vers l'Orient »

Depuis presque vingt ans, vous affirmez que la Chine est une puissance émergente. À WPP, la Chine est désormais votre cinquième marché. Vous estimez dans votre rapport annuel que le processus de transfert économique vers l'Asie « ne peut pas être arrêt頻. Pourquoi êtes-vous si positif sur ce pays??Je reste très positif, en effet. L'argument de base n'est pas nouveau?: il retourne deux cents ans en arrière. À l'époque, les Bric et les « onze suivants » (*) représentaient 46 % du PNB mondial. Mais ils ont fait face à la concurrence de la technologie occidentale. L'une des principales industries chinoises d'alors, la porcelaine, a fortement souffert face à la concurrence des manufactures allemandes et anglaises, qui produisaient la même qualité, mais beaucoup moins cher. Aujourd'hui, c'est un retour complet en arrière. Je crois que nous vivons un cycle économique de long terme de rééquilibrage vers l'Orient. Dire cela il y a dix ans était révolutionnaire. Le dire aujourd'hui est un lieu commun.Quand vous est venue cette certitude que la Chine allait émerger??En 1989. Nous avons acquis JWT [une agence publicitaire américaine, Ndlr.] cette année-là. C'est un peu un accident historique, mais JWT était très présent en Chine à l'époque. Nous avons organisé une réunion de notre conseil d'administration à Guangzhou, et j'y allais par train depuis Hong Kong ; il n'y avait qu'une seule voie ferrée entre les deux villes. Mais des travaux étaient en cours pour doubler la ligne, et les ouvriers y travaillaient alors que c'était un dimanche après-midi. À la même heure, les Britanniques étaient sans doute au pub en train de regarder le match de football. J'en ai conclu que la Chine allait devenir une vraie force internationale.Néanmoins, il est de plus en plus question d'un ralentissement de l'économie chinoise, et des risques d'instabilité sociale...C'est vrai, de plus en plus de gens disent que la croissance ne pourra pas continuer au même rythme. De plus, même à l'intérieur de la Chine, on entend des intellectuels dire que la seule croissance économique ne suffira plus à satisfaire la population et que le pays a besoin d'une alternative. D'ailleurs, la religion progresse très vite et les églises sont pleines. Il existe un besoin de croire.Pourtant, d'un point de vue économique, la Chine obéit à la loi des grands nombres. On dit que seuls 250 à 300 millions d'habitants font partie des classes moyennes?...Certes, mais c'est l'équivalent de la taille des États-Unis. La Chine a sorti des millions de personnes de la pauvreté très rapidement. C'est une réussite colossale. Les douze membres du Politburo sont pour la plupart des ingénieurs de formation, très intelligents, capables d'apprendre et d'écouter. La Chine a besoin de croissance pour maintenir la paix sociale, et ils le savent. Cela étant dit, depuis Lehman Brothers, ils commencent à avoir le sentiment qu'ils ont un peu moins à apprendre de l'Occident...En tant qu'entreprise, comment faut-il aborder la Chine??Nous avons 12.000 employés dans la grande Chine (Chine + Hong Kong + Taïwan) et nous réalisons plus de 900 millions de dollars de chiffre d'affaires. Nous sommes présents non seulement à Beijing et Shanghai, mais aussi dans 80 villes chinoises. C'est la première leçon?: il n'y a pas une seule Chine, mais de multiples Chine. Le patron d'un grand groupe de télévision me racontait que, quand Deng Xiaoping voyageait à travers le pays, il avait besoin d'un traducteur... Au total, il existe 184 villes chinoises de plus d'un million d'habitants. La deuxième leçon est qu'il ne faut pas arriver avec des a priori occidentaux. Les consommateurs chinois ont une forte loyauté envers les marques étrangères, qui portent en elles un important bagage émotionnel?; mais la concurrence locale propose des produits beaucoup moins chers.Beaucoup d'entreprises se plaignent qu'investir en Chine est très difficile et que les règles ne sont pas les mêmes pour les entreprises locales et étrangères. Qu'en pensez-vous??Jeffrey Immelt, le directeur général de General Electric, a récemment provoqué une certaine controverse en laissant entendre dans une conversation privée, rapportée ensuite dans la presse, qu'il était très difficile de faire des bénéfices en Chine. Je lui réponds que la même tendance protectionniste est vraie ailleurs?: chaque pays cherche à développer ses champions nationaux, et n'est guère ouvert à la concurrence internationale. Même en Grande-Bretagne, l'acquisition récente de Cadbury par Kraft a provoqué une controverse.Quid des problèmes des droits de l'homme et d'absence de démocratie??Prenons l'exemple de Google. Les Chinois sont prêts à écouter les critiques concernant la liberté. Mais à une condition?: que cela soit dit en privé. La pire des solutions est de rendre le conflit public. Appeler ça un problème de « perte de face » ou simplement une question de bonnes manières, ce n'est pas la bonne façon d'approcher les choses en Chine. La diplomatie douce fonctionne?: pas à tous les coups, mais c'est la meilleure approche.La Chine et l'Inde sont souvent renvoyées dos à dos. Avez-vous une préférence??Ce serait être fou que de choisir. L'Inde a cet excellent slogan?: « La démocratie dont l'économie grandit le plus vite au monde » (« The world fastest growing democracy »). La Chine est plus tirée par les investissements, tandis que l'Inde est plus un marché de consommateurs. Ce qui est certain, c'est que l'équilibre du pouvoir mondial est en train de changer. Les gens en Russie, en Chine, au Brésil, en Inde se font de plus en plus entendre et cela va continuer.(*) Le Bangladesh, l'Égypte, l'Indonésie, l'Iran, le Mexique, le Nigeria, le Pakistan, les Philippines, la Corée du Sud, la Turquie et le Vietnam.· Demain?: Sergio Balbinot, codirecteur général de General
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