La Russie et la Chine prennent leurs marques

Six ans après l'année France-Chine, débute aujourd'hui l'année France-Russie. Pour Moscou comme pour Pékin, ces manifestations s'inscrivent moins dans une logique bilatérale que globale. La Russie et la Chine conduisent en effet des stratégies de marque, destinées à construire une image basée sur une symbolique de puissance, en maniant des leviers culturels, politiques, militaires et économiques.Les trajectoires des deux pays présentent des analogies. Pilotées au plus haut niveau, leurs stratégies graduelles de marque impliquent un accès privilégié aux réseaux globaux de communication. Créée en 2005, la chaîne Russia Today diffuse en quatre langues sur plusieurs continents. Après l'anglais, l'espagnol et le français, la chaîne chinoise CCTV émet aussi en russe et en arabe. Pour se positionner, la Russie et la Chine exploitent la « marque chapeau » économique des Bric, et celle politique du Conseil de sécurité de l'ONU. Elles mettent volontiers en scène leur puissance spatiale, navale ou nucléaire. Les deux pays cherchent à bousculer la triade ? États-Unis, Europe, Japon ? en envisageant, par exemple, la création d'un nouvel étalon monétaire hors dollar et euro et en revendiquant leur modèle de capitalisme d'État. Ils alternent les postures, un jour « soft power », le lendemain « hard power » : de Pékin à Sotchi, du Tibet à l'Ossétie, les perceptions sont brouillées. Cette ambiguïté se retrouve dans le tandem au pouvoir en Russie, Janus aux deux visages : celui d'un Medvedev souriant et conciliant et d'un Poutine impassible et martial. Ces stratégies de marque sont souvent mal comprises par l'Europe car elles constituent des attributs de puissance. Alors que nous percevons la Russie et la Chine comme des émergents, elles s'inscrivent dans une logique de retour à un rôle dominant.Les dissimilitudes sont révélatrices des orientations des deux pays. Leur différentiel économique va s'accentuer, mais repose, pour l'heure, sur un paradoxe : la Chine est près de trois fois plus riche que son voisin russe en PIB, mais trois fois plus pauvre que lui par habitant. Son trésor de guerre de 2.400 milliards de dollars est cinq fois supérieur à celui de la Russie, largement affecté par la crise. La Chine sort très renforcée de celle-ci, alors que la Russie a connu une récession de presque 9 % en 2009. Plusieurs entreprises chinoises comme Haier sont réellement devenues globales ; après avoir conquis une part stable du marché intérieur, elles se sont lancées à l'international en privilégiant les marchés émergents, puis ceux de l'OCDE.Dans le classement Interbrand, qui estime la valeur des marques, quinze sociétés chinoises contre seulement trois sociétés russes dépassent le seuil du milliard de dollars. Les entreprises russes souffrent d'une faible reconnaissance de marque, et veulent y remédier. La proximité de plusieurs d'entre elles avec le Kremlin, notamment dans le domaine énergétique, joue un rôle parfois attractif, souvent répulsif. En revanche, la forte personnalisation du leadership produit un effet de notoriété favorable à la Russie. Dans le dernier classement Forbes, Poutine occupe la troisième place après Obama et Hu Jintao, loin devant Lula (33e) et Singh (36e). Hu Jintao profite sans doute de la marque Chine, alors que Poutine influe sur la marque Russie en termes de puissance perçue.Pour l'Europe, il faut apprendre à décoder ces positionnements de marque. Encore naissants, ils visent différentes cibles (États, entreprises, opinions) et marchés. Chine et Russie sont ainsi intégrées en « concurralliance » avec des espaces différents : respectivement, les États-Unis et l'Union européenne. À l'heure du lancement d'une réflexion sur la « marque France », les marques Chine et Russie, et au-delà celles des émergents, doivent être analysées avec attention : elles traduisent un réalignement des intérêts économiques et stratégiques pour des pays voulant combiner projection d'identité, de valeur et de puissance. (*) Thomas Gomart est directeur du centre Russie/Nei à l'Ifri et de la collection Russie. Nei Visions. François Pitti, conseiller du commerce extérieur, est responsable des alliances stratégiques d'un groupe du CAC 40.Point de vue Thomas Gomart et François PiTTi (*)
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