Révolution 2011 : l'erreur de l'Europe

Depuis les révoltes dans les pays arabes, la faiblesse, ou l'absence de la diplomatie des pays européens, a été à juste raison critiquée par les diplomates français dits du Café Marly ou leurs collègues italiens ou espagnols.L'Italie privilégie ainsi depuis des années des relations directes et personnelles entre les chefs d'État plutôt que d'utiliser son rôle au sein des institutions supranationales européenne ou multilatérale. Les louanges de Silvio Berlusconi au dernier dictateur d'Europe Alexandre Lukashenko, à Vladimir Poutine ou au colonel Kadhafi, ne sont pas une rupture avec la diplomatie de ses prédécesseurs. Et c'est Romano Prodi, à l'époque président de la Commission européenne, qui dédouana le bouillant dirigeant libyen au niveau communautaire.Ces errements du passé proche sont a priori révolus. Mais, au présent, lors de son déplacement à Ankara, Nicolas Sarkozy redira ce vendredi au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et au président Abdullah Gül que la France s'oppose encore et toujours à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne (UE). Cette myopie de la diplomatie française, dont la chancelière Angela Merkel est également affligée, aura des conséquences lourdes, et pas seulement pour la Turquie, la seule grande économie émergente ayant un pied en Europe.En effet, les peuples et les pays arabes qui voient aujourd'hui dans la Turquie un modèle possible pour leur développement alliant succès économique et démocratie, ne manqueront pas d'intérioriser également un autre message : l'Europe, ou du moins le couple franco-allemand, ne veut même pas d'un pays aussi avancé que la Turquie. Et ce, pour des raisons du reste jamais clairement énoncées.C'est là la grande différence avec la révolution précédente, datant d'il y a à peine plus de vingt ans, celle de 1989. Les manifestants de 2011 et ceux de 1989, de la place Tahrir au Caire aux boulevards de Leipzig, se ressemblent pourtant dans leur absence soudaine de peur. Mais voilà : en 1989, des hommes éclairés proposaient un cadre à cette révolution, comme Mikhaïl Gorbatchev et sa « maison commune européenne » ou même, tardivement, François Mitterrand et sa confédération européenne.Aujourd'hui, l'Europe se garde bien de proposer aux peuples égyptien ou tunisien la moindre perspective. L'Europe ne fait plus recette. Sous l'impulsion de Paris et Berlin, elle dit même que, quand bien même ces sociétés parviendraient à un certain niveau démocratique et économique, à l'instar de la Turquie, elles ne peuvent envisager de rejoindre le club européen. C'est la leçon indirecte que Nicolas Sarkozy fera à nouveau aux dirigeants turcs.Il s'agit là d'un revirement radical de l'Europe. L'UE s'est pourtant formée par le geste des pays fondateurs s'ouvrant aux pays fragiles sortant de dictatures comme l'Espagne, le Portugal et la Grèce, ou les pays de l'Est dix ans plus tard. L'Union pour la Méditerranée lancée en grande pompe par Nicolas Sarkozy, et dont le président égyptien Hosni Moubarak était le coprésident, était, elle, tout le contraire : une union associant les pays de l'UE démocratique(s) à beaucoup de pays encore en dictatures sur la rive sud...À ce jour, la Libye, l'Égypte et la Tunisie, et peut-être demain l'Algérie, font leurs premiers pas chancelants en dehors de la dictature et pourraient tirer parti d'une perspective lointaine d'association étroite avec les 27 de l'UE. La Tunisie pourrait enfin accéder au titre de « partenaire avancé » de l'UE que la dictature Ben Ali lui empêchait de décrocher. L'Europe des 27 a tout à y gagner. Dans les années 1990, et avec l'élargissement à l'Est, elle avait compris qu'il valait mieux faire croître les économies d'Europe de l'Est plutôt que d'essayer vainement de contenir des miséreux est-européens derrière le « rideau de fer » ou le Mur à peine ouverts côté Est.Le 1er mai prochain, les derniers obstacles tomberont justement pour les salariés de ces pays, de la Pologne à l'Estonie : ils pourront travailler sans limites dans un autre pays de l'UE. Mais il n'y aura pas de raz-de-marée migratoire car, entre-temps, leurs propres économies sont devenues autrement plus dynamiques que celles d'Europe de l'Ouest.En revanche, à trop vouloir contenir la poussée migratoire de l'Afrique grâce à des auxiliaires comme Kadhafi, l'Europe court le risque de voir se rompre son illusoire « digue », à l'image de l'effondrement comme un château de cartes du régime libyen.L'Europe aurait beaucoup à gagner à intégrer d'une façon ou d'une autre cette jeunesse du Maghreb, qui, comme le résume l'historien Timothy Garton Ash, pourrait payer demain les retraites de l'Europe vieillissante.L'analyse
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