L'entreprise totalitaire n'a pas d'avenir

Pour ceux qui peinent à s'expliquer la démotivation des salariés, le stress ambiant et les dysfonctionnements des organisations, voici un livre qui éclaire de façon brillante les tenants et aboutissants de trente ans de management. Olivier Vassal, partner managing director du Boston Consulting Group à Paris et membre du Centre d'étude et de prospective stratégique, pose ici l'enjeu du management avec une rare lucidité : « C'est résoudre la contradiction qui veut que la performance d'une entreprise dépende de l'engagement de ses salariés, quand la recherche de cette performance aboutit à détruire la confiance nécessaire à cet engagement. Le défi de ce qu'on a coutume d'appeler la gestion du changement se situe d'abord là. »Des salariés ballottés de projet en projet, des cadres supérieurs coupés de leur direction, un taylorisme d'un genre nouveau et totalement exacerbé, une centralisation qui ne dit pas son nom, des objectifs imposés par le haut ne laissant pas le temps de les comprendre, la liste est longue des contradictions relevées par le consultant. « L'organisation reprend d'un côté ce qu'elle donne de l'autre : l'autonomie au prix d'un contrôle extrêmement serré. Ensuite, alors que sont prônés la réactivité, le pragmatisme et la priorité donnée à l'action, une omniprésence du contrôle se développe, très éloignée des préoccupations des opérationnels [...], la plupart des salariés doivent évoluer dans des systèmes qui sécrètent chaque jour de nouvelles règles en même temps qu'ils sollicitent toujours plus d'initiatives. » Bref, à lire l'auteur, on se dit que l'entreprise rend fou. Il pointe les paradoxes et débusque les idées reçues. À commencer par le débat sur les dérives du capitalisme. Au-delà de la crise, une partie de ces dérives est due, selon lui, à une méprise fondamentale sur la raison d'être d'une entreprise. Celle-ci n'est pas le profit, simple indicateur de sa réussite, de la validité d'une vision et de la qualité de sa traduction. Mais, selon l'auteur, de contribuer au progrès. Partant de là, le problème n'est pas de changer les comportements des salariés mais de s'attaquer aux logiques, de travailler à un projet authentique, et de mettre en place un management qui place en tête de ses priorités l'exemplarité, le respect des personnes et la reconnaissance du travail accompli.Alors que le changement est devenu une sorte de seconde nature des organisations, il est aujourd'hui déconnecté de tout optimum collectif. Seul le « comment changer » est digne d'intérêt, le « pourquoi changer » étant devenu accessoire. La crise du sens dont on parle tant serait alors une crise de la finalité, une crise du « pourquoi ». Car les changements sont toujours perçus comme une soumission à un oukase, avec un « on n'a pas le choix » en guise d'explication. Ce n'est donc pas le savoir-faire qui est en cause, mais la méthode, estime Olivier Vassal.En se concentrant sur le management par objectif, les entreprises ont commis deux erreurs : ramener la performance à sa dimension individuelle ignorant le cadre collectif dans l'accomplissement des tâches et encourageant les comportements de concurrence et de non-coopération ; et préférer un management basé sur les chiffres plutôt que sur les enjeux. Car, pour lui, pas de doute : ce qui compte pour la motivation c'est, en arrière-plan des objectifs, de parler des enjeux, de les partager et de les instruire. De plus, en privilégiant les critères quantifiables, on a occulté tous les enjeux qui ne se prêtaient pas à une appréciation chiffrée. Quant au discours sur les valeurs, il faut arrêter de confondre adhésion et assujettissement. « L'entreprise efficace n'est pas une entreprise qui abolit les différences mais qui, au contraire, les valorise. L'action collective qui nie l'individu dans sa spécificité est vouée à l'échec. L'entreprise totalitaire n'a pas d'avenir », assène Olivier Vassal.Plus que de vouloir changer le rapport des individus au travail, c'est à l'entreprise de modifier son rapport aux salariés. D'abord en les écoutant. Car l'enjeu éthique des prochaines années sera de choisir entre un « capitalisme totalitaire ou démocratique », nous dit Vassal. Reste aux entreprises à se saisir de l'opportunité qui leur est donnée de devenir « les acteurs authentiques et légitimes du progrès ».Sophie Péters « Quand le don de soi ne va plus de soi... Travailler et manager à l'ère de la globalisation », par Olivier Vassal, Éditions Pearson Village Mondial, 200 pages, 22 euros.
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