Fantasmes et réalités autour des prix de transfert

Alors que le sauvetage en cours de l'Irlande ravive le fantasme selon lequel les prix de transfert sont une variable avec laquelle les groupes pourraient « jouer » afin de localiser leurs profits dans des pays bénéficiant d'une fiscalité avantageuse, il est temps de rétablir la vérité sur ce sujet et d'éviter la caricature. Il faut en effet souligner qu'au coeur de cette question complexe se trouvent des considérations stratégiques et opérationnelles liées au déploiement de la chaîne de valeur des groupes sur les marchés, et non uniquement des considérations fiscales. Il ne s'agit pas bien sûr de nier l'influence des dispositifs fiscaux visant à favoriser l'attractivité des territoires sur les décisions de localisation des entreprises, mais plutôt d'en relativiser l'impact.Au-delà du fantasme, il est important de réaffirmer ce qu'est la réalité pour les entreprises multinationales. Les principes directeurs qui régissent la détermination des prix de transfert ont été dégagés par l'OCDE en 1995. Ils tiennent dans l'affirmation d'une règle simple : le principe de pleine concurrence. Selon ce principe, le niveau des prix des transactions à l'intérieur d'un groupe doit être fixé pour refléter les conditions d'une transaction de marché. Obéissant à une dynamique de marché, les prix de transfert sont ainsi le reflet de la nature et de l'intensité des fonctions assumées, des actifs mobilisés et des risques supportés par les entités parties à une transaction.Au-delà de la sanction fiscale à laquelle s'exposent les groupes en cas de non-respect de cette règle, ces derniers ont avant tout un intérêt stratégique naturel dans l'alignement de leur niveau de prix de transfert avec des conditions de pleine concurrence. Des exemples récents ont en effet montré que le risque de destruction de valeur le plus important découlant d'un non-alignement du niveau des prix de transfert avec le principe de pleine concurrence venait non pas de la sphère fiscale, mais bien du champ stratégique et opérationnel.En effet, là où le risque fiscal s'exprime en pourcentage du profit des groupes, les risques stratégiques et opérationnels liés à un non-alignement peuvent tout d'abord affecter directement le chiffre d'affaires. Ce sera notamment le cas lorsque, ne reflétant pas des conditions de pleine concurrence, les prix de transfert seront en conflit avec le système de mesure de la performance au sein de l'organisation, pouvant conduire des managers à prendre des décisions contraires aux intérêts du groupe. Le non-alignement peut également fausser l'appréhension de la juste structure de coût des organisations et miner l'équation de profitabilité long terme. Si le système prix de transfert omet de reconnaître la contribution de certaines fonctions à la chaîne de valeur, les entités du groupe en contact avec les marchés peuvent opérer une mauvaise évaluation de la profitabilité des projets, et le groupe accepter des projets intrinsèquement non rentables. Enfin, il peut minorer significativement la valeur de marché d'une structure, soit à l'occasion de l'entrée d'un partenaire stratégique au capital d'une société du groupe ou à l'occasion de la sortie d'un actionnaire minoritaire. Parmi les exemples récents, on peut notamment citer les opérations de « squeeze out » d'actionnaires minoritaires réalisées par Sears et Ford au Canada. Les groupes multinationaux l'ont bien compris, il y a dans l'alignement des prix de transfert avec le principe de pleine concurrence avant tout un enjeu stratégique et opérationnel touchant directement à la capacité de création de valeur des organisations.Par Jean-Sébastien Lénik Vice-président, NERA Economic Consulting
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