«Une manifestation réussie, c'est évident »

Propos recueillis par Valérie Segond Guy Groux, directeur de recherche au CevipofJean-Claude Mailly dit d'abord une évidence: la manifestation du 24 juin a mobilisé beaucoup plus de monde que n'importe laquelle des manifestations qui se sont déroulées en 2010. S'il a pu le dire, c'est aussi parce que celle organisée le 15 juin pour le retrait du projet, à l'initiative de la seule FO, était déjà une réussite, mobilisant entre 25.000 et 70.000 personnes. Mais si le secrétaire général le dit aujourd'hui, c'est peut-être également parce qu'il est en train de changer de stratégie. Alors qu'en 2009, il considérait que la multiplication des appels à manifester risquait de finir par lasser les Français, il reconnaît aujourd'hui que les appels à manifester continuent à emporter l'adhésion de nombreux salariés. Cela révèle une attitude plus conciliante à l'égard du front commun, constitué de la CFDT, CGT, CFTC, FSU, SUD et Unsa. Et ce revirement pourrait conduire à un rapprochement de grande ampleur pour septembre, quand devrait être voté le projet de loi. Maintenant, est-ce qu'une mobilisation de plus grande ampleur à la rentrée a quelque chance d'aboutir au retrait du texte, que demande par ailleurs Jean-Claude Mailly? Je n'y crois guère. Même s'ils n'apprécient pas la méthode, les Français savent que la politique du gouvernement s'inscrit dans les politiques d'austérité conduites aujourd'hui dans toute l'Europe, et que la réforme du système de financement des retraites est inévitable. Et pour Nicolas Sarkozy, c'est la dernière grande réforme avant la fin de son mandat: il n'y renoncera pas car il n'y a pas intérêt. Aussi est-il probable que la mobilisation, si elle se renforce, aboutira tout au plus à quelques concessions du gouvernement sur les questions sensibles de la pénibilité ou des carrières à trous. Hubert Landier, expert en relations sociales Par ces quelques mots, Jean-Claude Mailly indique qu'il veut rentrer à nouveau dans le jeu de l'action intersyndicale, et qu'il se joindra probablement à une journée syndicale unitaire. Pour autant, l'unité syndicale potentiellement retrouvée annonce-t-elle un mouvement de grande ampleur à l'automne? C'est loin d'être sûr. Les Français perçoivent que les organisations syndicales se sont mises dans une attitude de déni du problème démographique. Ils savent qu'une réforme est nécessaire. Pour qu'elles parviennent à véritablement mobiliser les Français, il faudrait que les centrales syndicales aient des propositions constructives et crédibles sur les sujets qui cristallisent les protestations: la pénibilité, les carrières longues sont de vrais sujets. Or le fait est que les confédérations syndicales se trouvent dans une position profondément contradictoire: d'un côté, elles réclament à cor et à cri plus d'équité; de l'autre, elles sont prisonnières du corporatisme de certaines professions qui entendent défendre des statuts spécialement avantageux, et qui s'apparentent à des privilèges, comme les régimes spéciaux ou le régime de la fonction publique dans lequel le salaire de référence de la retraite est toujours constitué de la moyenne des six derniers mois contre les 25 meilleures années pour le privé. Et c'est précisément pour cela que les efforts pour le rééquilibrage financier du système ne reposent pas sur tous de la même manière.En digne représentant de FO, Jean-Claude Mailly est l'archétype de cette défense des corporatismes, du cartel des avantages acquis dont les bénéficiaires cherchent le maintien sans considération pour l'intérêt général. Pierre-Éric Tixier, sociologue, professeur à Sciences po Ce revirement qui ne dit pas son nom souligne en creux l'énigme qu'est fréquemment la stratégie de FO: en vertu de quelle rationalité a-t-elle tenu à avoir une position distincte des autres organisations, sachant que les positions autonomistes des syndicats sont toujours critiquées par les salariés? Ce qui est sûr, c'est qu'il reconnaît implicitement que le succès de ces manifestations invalide cette stratégie. Aujourd'hui, les organisations syndicales comme le gouvernement lui-même n'ont pas de maîtrise des mobilisations sociales. Plus personne n'est capable de dire si la mobilisation sera massive ou non, ni quelles sont la nature et l'intensité du rapport de force qui se construit. Car les mouvements sociaux sont devenus autonomes de la représentation syndicale.Cela ne veut pas nécessairement dire que la mobilisation sera faible, mais seulement qu'elle leur échappe largement, donc chacun attend pour prendre position. Les mobilisations sociales avec la question de la fonction publique pourrait d'ailleurs prendre une certaine vigueur à la rentrée, car son mécontentement a plusieurs racines qui s'entremêlent: de la réduction des effectifs au gel possible des rémunérations pendant trois ans, en passant par une harmonisation progressive de leur régime de retraite sur celui des salariés du privé, même si le salaire de référence sera toujours calculé sur six mois. Et en ce sens, ce mouvement aurait des traits communs avec celui de 1995, où l'opposition à la transformation des entreprises publiques et à l'ouverture du capital s'était conjuguée à la défense des régimes spéciaux. Aussi cette conjonction pourrait-elle aujourd'hui encore mener à une mobilisation majeure. En clair, si la fonction publique se mobilise sur la réforme des retraites, c'est la goutte d'eau. Ce qui est en débat, c'est surtout une gestion plus fine de la réforme de l'État que celle qu'a menée le gouvernement jusque-là, car la gestion en masse des effectifs de la fonction publique n'est clairement pas adaptée. Ce ne sera pas la première fois que Jean-Claude Mailly, dont la stratégie est ambiguë, change de position. Car, comme André Bergeron en son temps, il reste pris en tenailles entre les réformistes et l'extrême gauche, ce qui fait de FO un regroupement hétérogène difficile à mener. Jean-Marc Le Gall, conseil en stratégie socialeS'il n'a pas appelé à la manifestation, Jean-Claude Mailly a compris qu'il s'était bien passé quelque chose ce 24 juin. Et qu'en dépit de la lucidité des Français sur la nécessité de la réforme, ils restent irrités par deux choses : la non-exemplarité de nos élites politiques au moment où l'on va demander des efforts notables aux Français et le caractère asymétrique et non équitable de cette réforme, sachant que les carrières longues comme les carrières à trous ou descendantes seront clairement pénalisées par la réforme. Est-ce que cela va prendre ? Cela dépendra des gestes que fera le gouvernement, sur la réforme elle-même comme sur la moralisation de la vie de nos responsables politiques. Cela dépendra aussi des calculs que chacun fera pour soi-même, et qui l'amèneront à mesurer concrètement ce que cette réforme va lui coûter. Car une réforme des retraites est une réforme viagère, dont l'impact porte sur au moins quinze années de revenus. Le cumul des efforts peut donc se révéler très substantiel. En d'autres termes, pour le pacte social, c'est du lourd! Si les fédérations n'ont clairement pas la main sur ces mouvements sociaux, une convergence des mécontentements du privé et du public pourrait bien se produire à la rentrée. En «free rider» des mouvements sociaux, Jean-Claude Mailly est en train, l'air de rien, au détour d'une petite déclaration qui ne paie pas de mine, de faire amende honorable et de se rallier!
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