Europe : la nef des fous ?

Les dirigeants européens sont-ils embarqués dans une «nef des fous» digne de ce que Sebastien Brant décrivait au 15e siècle dans un des premiers romans européens? On ne serait pas loin de le croire si l'on prend la peine d'observer la situation. Ainsi, Mario Monti a bombé le torse lundi en affirmant que l'Italie a «contribué à mettre en place des politiques de croissance en Europe». Mettre en place des politiques de croissance! Celui-là même qui, par sa politique, a cassé le peu de croissance qui restait à l'Italie. Et alors que l'on venait d'apprendre que son propre gouvernement avait révisé à la baisse sa prévision de contraction du PIB de la péninsule de 1,2 à 2,4%! Mais sans doute n'y a-t-il là aucune contradiction puisque l'OCDE qui tenait la conférence où s'exprimait le président du conseil italien a appelé à «poursuivre les réformes du gouvernement italien» qui, précisément, ont plongé le pays dans la crise.Croissance et austérité ensemble Mais de ce côté-ci des Alpes, la schizophrénie n'est pas moindre. Ce mardi matin sur France Inter, le ministre français des Affaires européennes n'avait que la «réorientation de la politique européenne vers la croissance» à la bouche. Et pour entamer cette réorientation, Bernard Cazeneuve n'avait pas mieux à proposer que le vote du pacte budgétaire qui va peser sur l'activité de ces 5 prochaines années et va surtout, par son lien avec le MES, confirmer l'étranglement des pays en difficulté. Non, il avait également une autre proposition à formuler: le maintien de l'objectif d'un déficit public à 3% du PIB l'an prochain, manière la plus certaine de plonger la France dans le cercle vicieux de la dépression.Plus d'effortsFaut-il un ultime exemple de ce délire pathologique? La chancelière Angela Merkel a jugé que l'Europe va devoir «faire des efforts» pour «sortir plus forte» de la crise. Par «efforts», la chancelière entendait des «douloureuses réformes» et des «politiques budgétaires plus responsables». Autrement dit, l'Europe doit encore aller plus loin dans l'austérité. C'est du reste ce que vise précisément le pacte budgétaire tant vanté par le gouvernement français. Or, cette politique «d'efforts» que mène la chancelière en Europe depuis 2010 a contribué à plonger l'Europe à nouveau dans la récession. Lundi, le très mauvais indice Ifo montrait que l'économie allemande est à son tour frappée par la vague issue de cette politique. Mais peu importe.La dérive dépressive européenneLe bateau Europe va à vau-l'eau. Il se dirige droit vers les récifs de la dépression. Mardi, Standard & Poor's promettait un recul du PIB de la zone euro de 0,8 % cette année. Et les moteurs de croissance de la région sont désormais tous éteints. Tout se passe comme si la Grèce, loin d'être le cas isolé et «exotique» que l'on nous a présenté depuis deux ans, était en fait le précurseur de ce qui menaçait l'Europe. La BCE, qui a pourtant déclenché avec ses annonces du début du mois de septembre cette euphorie des dirigeants européens, ne semble rien pouvoir faire. Baisser ses taux serait inutile, ils sont déjà vainement à un niveau historiquement bas. Quant à sa politique de rachat de titres souverains, elle est soumise à des conditions déflationnistes qui n'auront certes pas d'effets positifs sur la croissance. Reste évidemment le «pacte de croissance» et ses fameux 120 milliards d'euros dont se vantent tant les dirigeants français. Son effet est évidemment nul. Passons même sur ses effets concrets, les révisions à la baisse de toutes les prévisions pour 2013 prouvent assez l'inefficacité de cet amas de mesures hétéroclites et recyclées. Le pire est encore ailleurs: nul n'a pris ce plan au sérieux, le choc de confiance si nécessaire pour les plans de relance n'a pas eu lieu. Et c'est pourtant au nom de ce plan que l'on entend imposer l'austérité généralisée.Position moraleMais si la position des dirigeants européens n'est pas cohérente, c'est qu'en réalité, elle est plus morale qu'économique. Elle est basée sur l'idée d'une pseudo faute budgétaire des Européens qui devra être réparée par la souffrance. Et elle se dissimule derrière le vieil argument europhile: quiconque se place en opposition aux dirigeants européens est «populiste» et, partant, discrédité. Ce qui est commode et permet d'avancer l'absence d'alternative à cette politique. C'est pourquoi, ceux qui tentent de s'opposer au pacte budgétaire ou au MES sont immédiatement discrédités, comme l'ont été en 2005 ceux qui se plaçaient dans le camp du «non» à la constitution. Bernard Cazeneuve qui, ce matin, prétendait qu'il n'y a pas de «non fondateur» doit certainement s'en souvenir: il faisait alors partie des chefs de file des «nonistes».On connaît la chanson80 ans après les effets dramatiques de la politique de déflation salariale et budgétaire des gouvernements européens, leurs successeurs sont aujourd'hui en passe de faire les mêmes erreurs. Du reste, les années 1930 sont tellement à la mode que les chefs de gouvernement européens n'hésitent pas à remettre au goût du jour le fameux succès de Ray Ventura de 1935: «tout va très bien, madame la marquise»... 
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