"A poil" sur le net ou les vertiges du dévoilement

Lundi noir chez les internautes. Hier soir, le site de Metrofrance révélait que les messages privés de 2007,2008, 2009 s\'affichaient sur les murs des abonnés de Facebook. Panique immédiate à bord du réseau d\'amis. Chacun se précipite. Certains commencent en effet à découvrir que d\'anciens messages privés apparaissent sur leur Timeline publique. Des messages qui se retrouvent mélangés à des commentaires d\'amis sur le «mur». D\'emblée la température de certains internautes monte d\'un cran. Et les «twittos» se déchaînent avec ironie et délectation: «explosion de réservations chez Ibis. Tous les mecs qui sont rentrés chez eux ce soir se sont fait virer par leur femme». «On va mesurer l\'importance de #facebook dans notre société en regardant les chiffres des divorces dans les prochains mois».\"Si ça tue Facebook, moi aussi je suis mort\"Les plus inquiets se rassurent au réveil devant les démentis de Facebook en imaginant qu\'il s\'agit d\'une opération de déstabilisation du réseau par ses concurrents Twitter et Google. Hélas...non. Depuis le début de la matinée nombreux sont les internautes français qui constatent l\'«epic fail», l\'«énorme échec» en langage Internet. Aurore (26 ans) publie sur son mur: «Pour une fois, il y a vraiment eu un bug sur Facebook qui fait vraiment réapparaître des messages privés sur le mur des autres. Donc à tous ceux à qui j\'ai pu envoyer des saletés sur d\'autres, ou des messages choubidou, prière de nettoyer vos murs». Estelle (24 ans): «Je viens d\'effacer tous mes messages sur mon mur entre 2008 et 2009, car tout s\'était affiché. Ce ne sont que les messages privés de mes amis!!! Par contre sur le mur d\'une amie), il y a tous les messages privés que j\'ai envoyé !!! C\'est trop n\'importe quoi!!! ». Eric (48 ans) confie: «Je regarde un peu chez les autres. Je ne vois rien de compromettant mais effectivement des trucs perso». Il est soulagé: «hier soir je me suis dit: si ça tue Facebook, moi aussi je suis mort. J\'ai repensé à toutes les bêtises que j\'ai pu écrire aux copains, aux problèmes de boulot que j\'avais à l\'époque, aux échanges érotico-sensuels».Angoisse de ne plus se souvenir de ce qui a été écrit et confié à cette époque. Anxiété des plus jeunes comme Marc, 20 ans en 2007, qui confie «aujourd\'hui je suis plus mature. Je ne communique plus de la même façon sur le réseau», ou comme Sylvie (33 ans) qui n\'indique plus tous ses faits et gestes comme elle le faisait il y a quatre ans. «A l\'époque, on ne maîtrisait pas encore très bien le réseau et on en connaissait mal les conséquences».Facebook dans le déni du bug déclenche la colère des internautesC\'est justement sur ce thème que Facebook organise depuis ce hier sa défense. Ses dirigeants font en effet valoir que «les messages sont de vieux posts du wall qui ont toujours été visibles sur les profils des utilisateurs. Il n\'y a pas eu de bug, ni violation de la vie privée.» Andrew Bosworth, ingénieur en chef chez Facebook a expliqué à la BBC que «les internautes ont simplement oublié comment ils utilisaient le wall à l\'époque. Il n\'était en effet pas possible de commenter/répondre ou de «liker» un message. De nombreux utilisateurs discutaient alors dans un va-et-vient de mur à mur et ces posts ressemblent, aujourd\'hui, à des messages privés». Ce serait donc au final le même cas de figure: la remontée de posts que certains «croyaient» privés mais qui ne l\'avaient en fait jamais été. Et Facebook de sous-entendre qu\'il s\'agit «d\'une hallucination collective». Ce déni du bug, loin d\'apaiser les internautes, déclenche leur colère. «Rien de grave, juste un petit coup au cœur, comme aurait pu m\'en donner n\'importe quel autre souvenir sur lequel j\'aurais remis la main par inadvertance. Sauf que, ce qui irrite dans ces cas-là, c\'est que malgré la certitude absolue que ce message était tout à fait privé, on peut lire les affirmations des dirigeants Facebook, qui nous affirment que c\'est de notre faute, que nous sommes paranos, que nous ne savons plus distinguer communication privée et publique, que ces messages étaient bien destinés à être lus de tous, quoi, vous les aviez donc oubliés? Plus grave que la violation de la vie privée, la mauvaise foi qui va avec. C\'est décidé, je ne réactiverai pas mon compte Facebook\", témoigne l\'une d\'entre elle sur le site du Monde. Florence, elle aussi, estime «scandaleuse» la posture du réseau: «affirmer le contraire est un mensonge et un manque de respect évident des utilisateurs». Quant à désactiver leur compte, si beaucoup y pensent, peu vont passer à l\'acte, estimant que cela risquerait de leur porter préjudice. Pour l\'heure, la plupart tente de résoudre le problème en supprimant les messages se rapportant à ces trois années.\"Ce réseau détient le pouvoir de détruire nos vies\"Reste que comme le dit une internaute, «c\'est une bonne prise de conscience de la méga puissance de ce réseau, et du fait qu\'il détient le pouvoir de détruire nos vies.\" Paradoxe qui veut que, plus on partage, plus on s\'expose et... plus on a peur des atteintes à sa vie privé. Un réseau dit \"social\" dans lequel les adhérents souhaitent mener une vie privée voire intime. Car qu\'ils le veuillent ou non, beaucoup y sont attachés, un peu comme à un lieu, une sorte de maison virtuelle d\'eux-mêmes qui les accueille et leur permet d\'y recevoir leurs amis en public...ou en privé. Photos, messages, dates anniversaires, partage d\'émotions...un morceau de vie en somme. «Je me déconnecte pendant les vacances et quand je rentre et qu\'à nouveau je me rends sur mon compte Facebook, c\'est un peu comme si je retrouvais mon «chez moi». Ce bug c\'est comme si on était entré chez moi sans prévenir et qu\'on avait étalé sur la place publique ce qu\'il y a dans mes placards», résume Stéphanie, 35 ans. Certains ados qui craignent l\'intrusion familiale ont résolu ce problème depuis quelques mois en supprimant leur compte pour s\'en recréer un sous une fausse identité qu\'ils partagent avec un petit nombre «d\'amis». Ou comment manipuler le cadre pour rester transgressif à souhait. Si ce bug provoque autant d\'angoisses chez les habitants de la planète Facebook, c\'est donc qu\'il est vécu comme une intrusion, une violation d\'un espace très intime, générant sentiment de honte, et de trahison. Trahison d\'autant plus forte qu\'ils avaient placé un véritable sentiment de confiance et de sécurité dans...la technologie. Rappelons-nous de ces salariés licenciés en 2010 pour avoir dénigré leur employeur sur le réseau. Leurs échanges tenus en privé avaient été \"balancés\" par un collègue, exonérant le réseau de toute responsabilité.Pas question cette fois-ci pour le site d\'échapper à ses responsabilités. Il aura beau jeu d\'argumenter qu\'il reste un réseau social et qu\'à ce titre il n\'a pas pour vocation de protéger la vie privée de ses abonnés mais plutôt de leur permettre d\'y mener une vie sociale. Car en créant une messagerie privée, le site fondé par Zuckerberg a mis le doit dans l\'engrenage de devoir \"protéger\" ses \"protégés\". Ce bug révèle à quel point les internautes ont souhaité se créer des espaces intimes et privés, dans lesquels ils pourraient déverser leur \"trop plein\" d\'émotions, de sensations...C\'est donc cette dichotomie vie privée/vie publique qu\'interroge cruellement ce choc. Choc de celui ou celle qui se trouverait pris sur le fait en pleine infidélité. Nul doute que dans certains foyers il sera désormais question de trancher une nouvelle épineuse question: «est-ce qu\'avoir des discussions virtuelles, c\'est tromper?»
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