Un journal au coeur de la république

« Stéphane Richard a bien décidé de lancer Orange sur ? Le Monde ? parce qu'il a reçu un coup de fil de l'Élysée?? » Réponsee;ponse d'un très proche du patron de France Télécome;lécom?: « S'il n'y en avait eu qu'un?! » La tension politique de ces dernières semaines autour de la recapitalisation du groupe de presse montre que le quotidien du soir a sans doute perdu des lecteurs, mais pas de son influence. Devenu dès les années 1950 un journal statutaire de la classe politique française, « Le Monde » est une institution avec laquelle le pouvoir sait devoir compter. Pour de bonnes et de mauvaises raisons, Nicolas Sarkozy n'est donc pas resté indifférent.Dès son acte de naissance, « Le Monde » a été quasiment investi d'une mission républicaine. Dans le foisonnement des feuilles issues de la résistance et sur les ruines d'une presse collabo, Hubert Beuve-Méry peut imprimer en décembre 1944 le premier numéro de ce nouveau quotidien parce que le général de Gaulle plaidait pour un journal qui puisse représenter la France à l'étranger. Focalisé sur la politique internationale, « Le Monde » est devenu incontournable à l'heure de la guerre froide et de la décolonisation.Dans le paysage politique français, les éditoriaux signés Sirius en une du journal ont donné lieu à une sorte de dialogue d'égal à égal entre Beuve-Méry et de Gaulle revenu au pouvoir en 1958. Lu sur les bancs de l'Assemblée nationale comme à l'étranger (il a la plus grosse diffusion internationale des quotidiens français), il devient un sésame. Sa lecture quotidienne, préalable officiel à l'entrée à Sciences po, a formé plusieurs générations d'énarques. Aujourd'hui encore, intellectuels ou hommes politiques à la recherche d'une tribune choisissent les colonnes grises du quotidien du soir.Fragilisé économiquement depuis les années 1990, son indépendance éditoriale a été contestée. Le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen (« la Face cachée du Monde ») publié en 2003 jette le trouble, mettant en accusation certains choix éditoriaux, notamment un soutien à Édouard Balladur dans la présidentielle de 1995. La partition compliquée d'Alain Minc, alors président du conseil de surveillance, censé séduire le monde des entreprises de plus en plus sollicitées pour soutenir financièrement le groupe, a contribué à brouiller les cartes. Homme de réseaux politiques et économiques, son ombre plane encore sur le groupe malgré son éviction en 2008.Difficile de ne pas voir des jeux politiques derrière les offres de reprise de 2010. À deux ans d'une échéance présidentielle, Nicolas Sarkozy n'était pas seul à la manoeuvre. Certes, le rejet de l'offre Perdriel par les salariés est en partie dû à sa présence en arrière-plan. Alain Minc, ami de Nicolas Sarkozy, conseille Prisa. Lagardèrerave;re, proche de l'Élysée, s'était entendu avec Orange et Prisa sur ses conditions de sortie du « Monde ». La caution de Claude Perdriel, 84 ans, paraissait alors bien fragile.En face, Pierre Bergé, soutien de Ségolène Royal, Matthieu Pigasse, proche de Dominique Strauss-Kahn, et Xavier Niel, plus difficilement classable mais en tout cas peu apprécié de Nicolas Sarkozy, constituent donc une offre « de gauche » en vue de 2012. Rester indépendant pour rester influent est un combat qui n'est jamais terminé.Jean-Baptiste Jacqu
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