Sale temps pour les rémunérations des dirigeants

Le point de vue de Nicole Catala, Ancien ministre, conseiller de Paris, professeur de droit à Paris II et consultant chez Jeantet Associés. Elle a été également secrétaire d'État chargée de la Formation professionnelle de mars 1986 à mai 1988 et vice-présidente de l'Assemblée nationale de 1993 à 1997 et de 1998 à 2002.

La violence de la crise actuelle incite à en rechercher les responsables et à moraliser le monde des affaires. À cette dernière tâche, le législateur s'était déjà plusieurs fois attelé mais, avant même que le dernier de ses textes ne soit pleinement entré en vigueur, de nouvelles exigences s'expriment. Le chemin parcouru n'est pourtant pas négligeable?: transparence des rémunérations annuelles des mandataires sociaux (lois de 2001 et 2003), extension du régime des conventions réglementées à leurs indemnités de départ (loi de 2005) et surtout encadrement plus strict de ces indemnités, ou « parachutes dorés », par la loi du 21 août 2007.

Visant les seuls titulaires d'un mandat social dans les sociétés cotées, ce dernier texte énonce des règles de procédure et de publicité pour les rémunérations différées. Il les subordonne à une condition de fond?: la réalisation de « performances appréciées au regard de celles de la société ». C'est au conseil d'administration ou de surveillance qu'il appartient de déterminer les critères de cette appréciation et de les mettre en ?uvre le moment venu. Sa délibération devra être approuvée par l'assemblée générale des actionnaires et cet assentiment devra être réitéré à chaque renouvellement de mandat. Un mandataire social ne pourra donc prétendre à des indemnités de départ que si ses performances personnelles sont jugées satisfaisantes au regard des résultats obtenus par la société. Son espoir d'obtenir des indemnités de départ est désormais empreint d'aléa?: la garantie absolue d'une substantielle indemnité de sortie s'est évanouie.

Mais la loi ne laisse pas au conseil la faculté de procéder de façon discrétionnaire. Celui-ci doit prendre en compte deux ordres de critères?: les performances propres du mandataire et les résultats de l'entreprise (chiffre d'affaires, résultats et marge d'exploitation, endettement, etc.). Si elle est aléatoire, l'indemnisation du mandataire social dont le mandat prend fin ne relève donc pas de l'arbitraire. Pourtant, lors du récent départ de dirigeants de groupes mondiaux aux résultats dégradés, on a eu l'impression que rien n'avait changé. La raison en est que, pour mettre leur contrat en conformité avec la loi du 21 août 2007, les dirigeants de société ont disposé de dix-huit mois, ce qui leur permet d'invoquer les engagements antérieurs jusqu'au 20 février 2009.

Mais l'opinion a réclamé plus de rigueur. Sous la pression du politique, l'Association française des entreprises privées (Afep) et le Medef ont donc édicté des recommandations qui demandent aux comités de rémunération des sociétés cotées de « mettre définitivement un terme aux indemnités de départ abusives (parachutes dorés) ». Les conditions de performance prévues par la loi et fixées par les conseils « doivent être exigeantes et n'autoriser l'indemnisation d'un dirigeant qu'en cas de départ contraint et lié à un changement de contrôle ou de stratégie ». Le versement d'indemnités de départ sera exclu s'il quitte la société à son initiative pour exercer de nouvelles fonctions, change de fonctions à l'intérieur d'un groupe ? ou même s'il a « la possibilité de faire valoir à brève échéance ses droits à la retraite ». Aucune indemnité de départ ne devra excéder deux ans de rémunération (fixe et variable), ce terme englobant l'ensemble des avantages consentis et des indemnités stipulées, y compris celle qui assortirait une clause de non-concurrence. L'encadrement des régimes de retraite supplémentaires, les options d'achat ou de souscription d'actions et l'attribution d'actions de performance font aussi l'objet de prescriptions restrictives.

Mais la recommandation la plus gênante peut-être pour les intéressés est celle qui invite à mettre fin au contrat de travail liant un dirigeant à la société lorsqu'il devient mandataire social de celle-ci (sauf s'il s'agit d'un collaborateur exerçant des fonctions de mandataire social dans une filiale du groupe). Pour les dirigeants sociaux, le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail (dans lequel peuvent être prévues des indemnités de rupture extrêmement avantageuses) offrait une double sécurité?: en cas de révocation du mandat social sans indemnité, ils pouvaient toujours espérer obtenir des dommages-intérêts si leur contrat de travail se trouvait aussi rompu.

Situation inacceptable pour le Medef?: « Le niveau élevé des rémunérations des mandataires sociaux dans les sociétés cotées se justifie notamment par la prise de risque. Il est par conséquent incompatible avec le cumul des avantages du contrat de travail. » De telles dispositions vont sensiblement plus loin que celles qu'édicte la loi du 21 août 2007. Soucieux de leur image, les responsables du monde patronal se montrent donc aujourd'hui plus rigoureux que le législateur.

En fait, c'est du sommet de l'État que souffle le vent de la révolution?: dès la publication des recommandations de l'Afep et du Medef, Nicolas Sarkozy a exigé qu'elles soient mises en ?uvre par les sociétés concernées sans délai et en tout cas d'ici à la fin de l'année. Et il a annoncé que l'attribution de stock-options aux dirigeants d'entreprise sera interdite si les salariés n'y ont pas droit ou ne bénéficient pas d'un dispositif d'intéressement.

Pour certains dirigeants, le coup sera rude, à moins qu'ils n'obtiennent qu'une partie de leurs indemnités leur soit attribuée à l'étranger, ce qui, dans les groupes multinationaux, ne devrait pas être impraticable. Quoi qu'il en soit, la révolution d'une plus grande égalité ne sera pas mal venue. Et peut-être ne verra-t-on plus des mandataires sociaux recevoir de la société qu'ils ont mal dirigée des sommes plus élevées que celles consacrées au même moment à leurs anciens salariés victimes d'un plan social.

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