Plaidoyer pour un nouvel étalon carbone

Par Alain Grandjean et Stéphane Voisin, respectivement économiste, membre de la Fondation Nicolas Hulot, et responsable de l'ISR chez Cheuvreux.

L'appel à un nouveau Bretton Woods souligne l'importance historique et symbolique que garde cet accord pour créer un environnement économique international stable et organisé. La suspension, dans les années 1970, sous pression ultralibérale, des accords signés en 1944 a mis fin à cette stabilité et ouvert les cycles de "trente piteuses" marqués par la volatilité, les crises et un développement économique désormais admis comme non soutenable. Reconsidérer aujourd'hui le système sur la base d'une référence environnementale aussi utile que nécessaire fait du sens. L'émergence, grâce au protocole de Kyoto, d'une valeur carbone homogène et mondiale a d'ores et déjà tracé la voie d'un étalon.

La première génération de solutions à la lutte contre le changement climatique a consisté à intégrer une contrainte carbone en introduisant dans l'économie un signal prix du CO2 à travers le mécanisme de marché défendu par Kyoto. Ce mécanisme de marché, souvent critiqué, n'est pas encore parfait. Les discussions européennes en cours sur le paquet climat énergie le rendront plus performant. Il présente, pour les émissions concentrées de CO2, trois avantages majeurs par rapport à une fiscalité directe, qui reste une option souhaitable pour les émissions diffuses.

Primo, il harmonise le coût du C02 en tendant à la fois vers un prix unique des droits d'émissions et vers les prémices d'une monnaie carbone. Secundo, il permet de lier les actuels et futurs marchés carbone entre eux (via les CER notamment). Et tertio, il crée un transfert de richesse entre pays développés et ceux en développement et facilite ainsi la croissance de ces derniers en évitant la case "fossile".

Ce système est à peine mis en oeuvre et encore largement en chantier dans diverses parties du monde et il convient d'ouvrir dès à présent la voie à une seconde génération de solutions. Bretton Woods avait mis en oeuvre un système d'étalon or pour asseoir à la fois la stabilité financière mondiale et la prédominance du dollar. Le cycle Bretton Woods 2 apparaît comme une opportunité historique de reconsidérer le système monétaire et financier global sur la base d'un nouvel étalon carbone. A l'instar des accords de 1944, adopter un tel étalon permettrait aujourd'hui de consolider à la fois la stabilité financière mondiale et la prédominance non plus du dollar mais, à côté d'un panier de devises, d'une valeur répondant aux nouveaux défis environnementaux.

Il s'agit en premier lieu d'officialiser la mutation des droits d'émissions de CO2 du statut de matière première au statut de monnaie à part entière dont l'unité serait la tonne de CO2. Dès lors que les mécanismes développés au sein de Kyoto s'apparentent à l'émission d'une nouvelle monnaie, rien ne s'oppose à sa reconnaissance en tant que telle. Il s'agit aussi de réaliser que cette monnaie carbone est bien plus précieuse et bien plus utile à nos économies que l'or ne l'a jamais été et ne le sera jamais. De réaliser que, dès lors qu'il existe, à travers un protocole reconnu mondialement, un plafond (cap) absolu ou relatif aux nombres de droits que les autorités nationales ou supranationales peuvent émettre, cette monnaie, au contraire d'autres que les Etats peuvent imprimer à volonté, constitue en soi une valeur refuge. Cette monnaie, créée en contrepartie de réductions d'émissions de gaz à effet de serre, est donc toujours liée à une garantie de durabilité du développement économique. En faire l'étalon d'un système rénové est de ce point de vue un double gage de rigueur économique et écologique.

Il s'agit enfin de considérer les crédits carbone non plus comme une externalité à prendre en compte mais comme presque consubstantielle à une économie de marché qui se développe sur une planète aux ressources limitées; de l'inscrire aux bilans des institutions financières et des entreprises, de l'intégrer aux réserves des banques centrales; de lier son sort à celui du développement d'un système financier et monétaire pour reconnaître enfin que notre économie est indissociable de son habitacle et du bien-être environnemental et donc de ses habitants.

Ce nouveau dispositif hybride est dans l'air du temps. Sa mise en oeuvre comporte des décisions politiques fortes telles que l'évolution vers un système de change mixte et la création d'une banque centrale du carbone ainsi qu'un ajustement des mécanismes en place qui peuvent paraître complexes mais tout aussi susceptibles de s'intégrer très vite dans notre quotidien économique. Le jeu en vaut la chandelle: l'étalon carbone a tous les atouts pour porter les valeurs que commande une transition vers un système financier plus responsable et durable. La route paraît longue mais la solution existe, l'opportunité des rounds du G20 est là et l'urgence écologique frappe à nos portes.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Comment pouvez-vous publier un article sur le Bretton Woods du carbone, un concept que défend Patrice Hernu (également administrateur de l'Insee comme M. Grandjean) et le réseau France Bleue depuis plus de deux ans, sans mentionner les sources (qui n...

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