Sacrées statistiques

Par Philippe Mabille, éditorialiste à La Tribune.

Trois citations bien connues donnent une idée de la dimension politique voire carrément révolutionnaire des recommandations présentées hier à Nicolas Sarkozy par la commission Stiglitz pour corriger les défaillances de notre appareil de mesure de la croissance.

Première citation, celle de Mark Twain : "Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques. " Deux, celle de Winston Churchill : "Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées." Ajoutons pour compléter ce tableau une formule imagée de Michel Colucci, dit Coluche : "Les statistiques, c'est comme le bikini, ça donne des idées mais ça cache l'essentiel."

On aura compris, à travers elles, que le débat lancé hier est au c?ur des réflexions en cours pour sortir de la crise. Le procès fait au PIB est simple à résumer. La question n'est pas tant de savoir s'il est conforme à la réalité ? son principal atout est d'offrir une mesure universelle donc comparable dans l'espace et le temps ? mais la façon dont il est utilisé.

Pendant des années, nous avons vécu sur l'illusion d'un monde sans limites, où il fallait libérer les forces économiques, déréguler les marchés, pour aller chercher la croissance à tout prix. Certains ont même dit "avec les dents". La crise a montré que la quête éperdue de l'augmentation d'un indicateur aussi fruste que le produit intérieur brut est insoutenable. Et que l'hypertrophie de la finance peut devenir une arme de destruction massive.

Le grand mérite du rapport Stiglitz est de nous inviter à réfléchir autrement et à inventer de nouvelles formes de mesure de la richesse, plus compatibles avec le développement de l'individu. Il propose notamment de calculer un produit national net tenant compte de la dépréciation des moyens de production et de compléter le PIB par divers indicateurs mesurant le bien-être matériel et immatériel des populations.

L'économie étant la science de la rareté, donner un prix à des éléments qui, jusqu'ici, n'étaient pas comptabilisés (l'environnement, les services non marchands comme la santé, l'éducation, les loisirs, les solidarités familiales) ne peut qu'améliorer la prise de conscience de leur valeur à long terme.

Sur le plan opérationnel, ce sera une autre affaire. Car, à n'en pas douter, à l'heure où la croissance reviendra, les mêmes qui critiquent l'appareil statistique actuel seront les premiers à mettre en avant leur action dans le rétablissement de l'économie. On verra alors à ce moment-là dans la modestie qu'afficheront ou non nos hommes politiques si cela en est bien fini de la "religion du chiffre".

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