Transparence et inflation salariale

Par Jean-Baptiste Jacquin, rédacteur en chef à La Tribune.

La transparence est une vertu? qui n'a pas que des vertus. En matière de rémunérations des dirigeants d'entreprises cotées, elle a été voulue par le législateur dans un seul objectif : limiter les abus grâce à la publicité qui leur est donnée. De ce point de vue, la transparence joue son rôle de garde-fou, car les abus font souvent les gros titres de la presse. C'est notamment le cas lorsqu'ils apparaissent dans des entreprises dont les performances relatives sont médiocres, quand ces excès sont concomitants à des mesures d'austérité salariale, voire à des plans de réduction d'effectif dans les groupes concernés.

Et à chaque affaire de stock-options indécentes, de parachute doré insensé, de retraite chapeau débordante ou de hausse de rémunération injustifiable, l'enchaînement des événements est le même : 1/ la presse s'en empare ; 2/ les politiques sont interpellés ; 3/ une nouvelle loi est promise. L'étape 4 arrive souvent plusieurs mois plus tard : l'exigence de transparence est étendue et renforcée, soit par voie législative, soit par un code de bonne conduite élaboré par le Medef et l'Afep (Association française des entreprises privées). Mais aucun plafond n'est fixé, conformément au principe de liberté des entreprises privées à distribuer les rémunérations qu'elles souhaitent, sous le triple contrôle des administrateurs, des actionnaires dont l'approbation est sollicitée, et des salariés désormais informés des émoluments de leur patron.

Mais cette transparence anti-abus a un inconvénient majeur : elle est terriblement inflationniste. Car les moins généreusement gratifiés ne se privent pas, à juste titre, de demander une remise à niveau pour réparer ce qui apparaît alors comme une "injustice". Pourquoi Anne Lauvergeon, d'Areva, ne s'offusquerait-elle pas de voir le patron de Safran, Jean-Paul Herteman, gagner 49,5% de plus qu'elle ? (voir le tableau que publie La Tribune ce lundi) En revanche, les mieux lotis de ces dirigeants n'étant jamais, sauf accident de carrière, ajustés vers le bas, la moyenne, cette référence sans attache, s'emballe année après année.

Les effets inflationnistes de la transparence sont si bien identifiés des chefs d'entreprise qu'ils ont vu depuis longtemps dans l'individualisation des salaires à tous les niveaux dans l'entreprise un formidable outil pour maîtriser l'évolution de la masse salariale. De fait, les salariés ne sont plus au courant du salaire de leur voisin de bureau et perdent un argument essentiel de négociation.

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