Des dépenses militaires aux dépenses environnementales

Les grandes causes appellent les grandes dépenses, sensées nous sauver et nous enrichir. Mais nous savons que les dépenses militaires n'ont jamais été bonnes pour l'économie. Il en sera de même pour les dépenses environnementales. Ces dépenses font des gagnants et des perdants. Les perdants sont les consommateurs et les PME. Et les gagnants sont généralement les grandes entreprises.

Le discours dominant sur les dépenses environnementales "qui vont entraîner la croissance" fait écho au discours classique sur le rôle moteur des dépenses militaires dans le développement de l'économie. Les unes comme les autres engendreraient créations d'activité et d'emplois (600.000 pour le seul Grenelle de l'environnement, selon Jean-Louis Borloo), innovations technologiques, exportations et finalement richesse. Ce discours était erroné ou mensonger pour les dépenses militaires. Il l'est également pour les dépenses environnementales.

Le parallèle est assez frappant. Dans les deux cas, on a un objectif noble et consensuel : sauver la patrie, sauver la planète. On a un ennemi menaçant et terrifiant : l'armée soviétique, le réchauffement du climat. Ces grandes causes rendent nécessaires de grandes dépenses publiques. Des dépenses qui, nous dit-on pour faire passer la pilule, vont non seulement nous sauver mais, en prime, nous enrichir. On sait aujourd'hui que les dépenses militaires n'ont jamais été bonnes pour l'économie. Stiglitz, dans une étude récente sur la guerre d'Irak, montre même qu'elles peuvent être très mauvaises.

L'histoire économique de l'URSS - grosses dépenses, maigres résultats - le dit aussi. Certes, ces dépenses ont pu avoir, notamment aux Etats-Unis dans l'après-guerre, un effet de relance keynésien. Il est vrai aussi que des technologies militaires de pointe ont parfois eu des retombées civiles positives, par exemple en matière d'aviation. Il est exact encore que ces dépenses ont créé des emplois, et favorisé le développement des exportations d'armement. Mais il ne suffit pas de considérer ces contributions positives, il faut aussi prendre en compte le coût des dépenses qui les financent. Il faut comparer ce qui s'est passé avec ce qui se serait passé si ces dépenses n'avaient pas été engagées, ou encore, à dépense publique constante, s'il avait été consacré à la recherche, aux transports ou à la santé.

Deux remarques, également vraies pour les dépenses environnementales, peuvent alors être formulées. La première est que ces interventions publiques changent la structure de la demande, de la production et de l'emploi sans en modifier beaucoup le volume. Elles créent des emplois dans le militaire ou l'environnement, mais elles en détruisent un nombre à peu près équivalent dans l'ensemble des autres secteurs. La seconde est qu'elles abaissent le niveau de vie. La raison en est que les biens produits par ces dépenses - la protection stratégique ou la réduction du CO2 - n'entrent pas dans le panier de la ménagère.

On peut bien sûr légitimement estimer que la ménagère a tort d'ignorer ces "biens publics", qu'elle est myope, et que le devoir du politique est de passer outre. Mais il ne faut pas croire, ou dire, que ces dépenses augmentent le pouvoir d'achat : elles le diminuent. Ce qui augmente le pouvoir d'achat, c'est le progrès technique et l'innovation qui permettent de produire plus - plus de biens désirés par les consommateurs - avec les mêmes quantités de travail, de capital, et de ressources naturelles. C'est l'augmentation de la productivité. Est-elle favorisée par la dépense militaire ou environnementale ? Hélas non, puisque celle-ci est d'abord dirigée vers des secteurs qui intéressent peu ou pas les consommateurs. Toutes les grandes innovations qui ont tiré ou poussé la croissance - comme la machine à vapeur, le chemin de fer, l'électricité, l'automobile, l'aviation, les antibiotiques, ou encore l'informatique - ont été produites par la société civile, avec peu ou pas de financement public.

Les changements de structures qu'entraînent les dépenses militaires ou environnementales font des gagnants et des perdants. Du fait de la nature de ces dépenses, les perdants sont les consommateurs et les petites entreprises qui les servent. Les gagnants sont généralement de grosses entreprises. Qui font pression sur les politiciens et sur l'opinion publique pour l'augmentation de ces dépenses. Ainsi s'est créé la célèbre alliance entre militaires, industriels et politiciens souvent analysée sous le nom de "complexe militaro-industriel". Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on voit aujourd'hui naître et se développer un complexe écolo-industriel qui lui ressemble comme un frère.

Les 440 milliards de dépenses du Grenelle de l'environnement portent pour l'essentiel sur l'isolation des bâtiments, sur les trains et les tramways, sur l'éolien et le photovoltaïque : que de beaux marchés assurés et faciles pour Saint-Gobain, pour Alsthom et la SNCF ou pour GDF Suez ! Pour ces firmes, la croissance est bien verte. Des rentes se créent. Des fortunes rapides se forment dans l'environnement comme autrefois dans l'armement. En 2007, par exemple, la Compagnie du Vent, qui n'avait alors guère produit que des autorisations municipales d'installer des éoliennes, a vendu 50% de ses parts pour plus de 300 millions d'euros.

On sait aujourd'hui que le complexe militaro-industriel, qui prospérait sur la menace de l'Armée rouge, a grandement exagéré cette menace. Est-on vraiment sûr que le complexe écolo-industriel, qui se nourrit aujourd'hui de la menace du réchauffement climatique, n'a pas tendance à l'exagérer ?

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