La fibre optique comme plate-forme d'innovation

La France n'a pas à rougir de son équipement en matière de haut débit. Mais la croissance continue du trafic sur le Web implique la mise en œuvre de nouvelles approches : rapprocher les équipements ADSL des foyers et des entreprises, favoriser la couverture en haut débit mobile et utiliser le satellite, déployer progressivement des accès en fibres optiques.

Le déploiement des accès en fibres optiques des particuliers et des entreprises est un enjeu majeur pour l'avenir du secteur des télécoms et des médias. Ce processus suscite toutefois plusieurs inquiétudes. D'abord, l'empressement légitime à disposer d'une solution qui assure la plus large couverture du territoire peut négliger les économies qui résultent d'une courbe raisonnable d'apprentissage. Il doit favoriser la prise de risques par les opérateurs plutôt qu'anticiper ex ante une situation de carence justifiant un financement public et, d'une certaine façon, un nouveau monopole au niveau de l'infrastructure.

Est-il raisonnable de défendre systématiquement un découplage de la gestion des infrastructures et de l'offre de services à l'heure de la convergence fixe-mobile?? N'y a-t-il pas un risque de balkanisation de l'industrie des services de télécommunications dans certains des schémas avancés, alors que l'on peut s'attendre à une phase de consolidation des opérateurs à l'échelle européenne?? Poser ces questions, ce n'est évidemment ni limiter les collectivités locales dans les compétences et l'expérience qu'elles ont acquises, ni s'interdire le recours aux approches mutualisées.

D'autre part, on observe des hésitations des opérateurs télécoms à investir à vaste échelle dans la fibre. C'est particulièrement vrai en France, où la croissance des débits sur ADSL s'est accompagnée d'une baisse des prix (rendant plus complexe aujourd'hui l'usage d'une tarification graduelle selon le débit ou l'intensité de l'usage). Plus largement, les opérateurs en Europe peuvent difficilement espérer mordre de façon significative sur un budget TV conséquent, à l'instar de ce que vise Verizon outre-Atlantique en s'attaquant au monopole du câble. Et puis, il y a Google, Microsoft et Apple, et peut-être demain Facebook ou Twitter, pour profiter de la migration des investissements publicitaires européens sur le Net. Le risque est donc malheureusement assez bien décrit quand on évoque la possibilité de construire en Europe des autoroutes optiques, fixes et mobiles, sans paraître pouvoir contester la place des leaders mondiaux du Web?

Dans le "top ten" des acteurs des TIC, les télécoms demeurent en Europe les entreprises les plus puissantes. Pourtant, la consolidation du secteur reste encore largement à venir. Et ces entreprises ne semblent pas réellement en mesure de pallier la faiblesse de l'industrie européenne de l'"entertainment", ou la "dévalorisation de la bande passante", par l'investissement massif et direct dans les contenus.

Du côté des chaînes de télévision, la montée en débit de l'Internet "ouvert", (hors des réseaux IPTV gérés par les opérateurs de télécoms), combinée à l'innovation majeure que constitue le téléviseur connecté au Web, annonce la distribution directe de contenus vidéo par les grands studios nord-américains. A court terme, les services de vidéo à la demande des groupes européens de télévision seront concurrencés par les boutiques Amazon ou iTunes intégrées dans la page d'accueil des nouveaux téléviseurs?; puis les chaînes thématiques, déjà fragiles, verront leur attrait pour le téléspectateur altéré par les offres gratuites de programmes de catalogue sur Internet. Avant que, peut-être, les détenteurs de droit ne fassent le pari de distribuer directement leurs programmes premiums.

Malheureusement, les télévisions européennes souffrent de deux handicaps. D'abord, elles sont essentiellement nationales. Les groupes audiovisuels européens n'ont pas la taille critique qui leur permettrait de financer les nouveaux programmes en les amortissant sur le marché européen. D'autre part, les chaînes TV sont souvent ligotées par une réglementation qui limite très fortement la production des ?uvres qu'elles diffusent. De ce fait, elles n'ont pas la maîtrise des droits que peuvent avoir les grands groupes intégrés américains. Les dispositifs réglementaires mis en place en France ont permis une production indépendante, mais pas l'essor de puissances industrielles. Ce point ne pourra pas être indéfiniment ignoré.

Dans ce contexte, il paraît nécessaire que le déploiement en Europe des nouveaux réseaux fixes et mobiles soit l'occasion d'accélérer l'adoption de nouveaux modèles d'innovation, en particulier ceux qui, dans le prolongement des concepts d'"open innovation", mettent en ?uvre des stratégies de plate-formes. Aux stratégies classiques d'intégration verticale, nous préférons la référence au modèle des marchés bifaces ("two sided markets"), la démarche retenue par Apple pour percer sur le marché des mobiles?: tout en se concentrant sur le marché des acheteurs de smartphones, Apple a ouvert une seconde cible, celle des développeurs, en les dotant d'une boîte à outils pour mettre à la disposition des clients de l'iPhone leurs applications et un "back office" pour qu'ils puissent le cas échéant en tirer un profit. Cet écosystème complexe intégrant l'ergonomie du client final et un environnement optimisé pour les fournisseurs de contenu et d'applications semble la voie la plus fertile pour que les entreprises européennes des télécoms puissent valoriser leurs nouveaux réseaux et profiter des perspectives de l'Internet du futur.

 

L'Idate (Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe) a organisé les 18 et 19 novembre le DigiWorld Summit (www.idate.org)

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