Les "bonnes" sorties de crise

Par Frank Dangeard, administrateur de sociétés.

Si toutes les crises de liquidité se ressemblent (perte de confiance, difficultés de refinancement, mais pas nécessairement surendettement), ce n'est pas le cas des sorties de crises. Certaines sont réussies, d'autres non. Comment gérer une « bonne » sortie ? Pour les entreprises, le cas d'école est celui de British Telecom et de France Télécom, deux entreprises comparables capitalisant chacune autour de 45 milliards d'euros début 2001 lorsque les difficultés commencent. Quelques années plus tard, elles n'ont plus rien à voir.

En mai 2001, le cours de BT n'est plus que le tiers de ce qu'il était au sommet de la « bulle Internet ». Le chairman Iain Vallance est remplacé par Christopher Bland, un « redresseur » d'entreprises. Une augmentation de capital avec très forte décote de 50 % est aussitôt lancée, alors que l'endettement atteint 30 milliards de livres. En juin les « PagesJaunes » sont cédées. Le dépeçage continue en novembre, avec la cession de l'activité mobile (O2, racheté par Telefonica en 2005 pour 18 milliards de livres). Entre-temps, le directeur général, Peter Bonfield, est remplacé et British Telecom devient BT Group.

À mi-2002, l'action France Télécom tombe en dessous de 10 euros, alors qu'elle était vingt fois cela en 2000. La dette est de 70 milliards d'euros, dont 50 milliards à relativement court terme. Elle n'a pu être refinancée selon le plan initial en raison de la crise des marchés. L'État détient certes plus de la moitié du capital, mais il est peu probable que Bruxelles accepte un sauvetage sans contreparties, peut-être même un démembrement. Les agences de notation sont sur le point de dégrader l'opérateur. La presse fait caisse de résonance.

Tout le monde veut appliquer la « recette BT » : les concurrents qui veulent profiter de la situation, les marchés financiers qui croient à la mort de la téléphonie fixe, les créanciers qui pensent y gagner. Jusqu'aux banquiers-conseils qui répercutent ce que disent les investisseurs et anticipent de juteux honoraires : ils proposent une augmentation de capital à moins de 4 euros par titre (50 % de décote) suivie d'un démembrement. En septembre, Michel Bon est remplacé par Thierry Breton. Mais, à partir de là, les deux histoires divergent.

En novembre 2002, FT annonce le plan TOP : une augmentation de la trésorerie de 15 milliards sur trois ans, un refinancement des dettes pour 15 milliards et une augmentation de capital de 15 milliards, le plan « 3 × 15 ». En décembre, une fenêtre de marché permet de lancer un emprunt obligataire, puis un autre en janvier. Les marchés, voyant que le « mur de liquidité » s'éloigne, réagissent favorablement.

La confiance commence à revenir, d'abord en interne. Le plan stratégique « Ambition FT 2005 » est annoncé. En mars 2003, l'augmentation de capital est lancée avec une décote faible (25 % ou 14,50 euros par titre). L'État y participe au prorata, avec l'accord de Bruxelles. L'opération est un immense succès. Dans les dix-huit mois qui suivent, FT sort Orange et Wanadoo de la cote, prenant le contre-pied des idées à la mode en 2000. Le 1er septembre 2004, l'État cède une partie de sa participation et tombe en dessous de 50 % : FT est privatisé. Six ans après, plus personne ne se souvient que FT est passé à deux doigts du démembrement.

Aujourd'hui BT capitalise une dizaine de milliards de livres, a perdu sa place au sein des grands opérateurs et n'est pas près de la retrouver : une sortie de crise complètement ratée, donc. FT capitalise quatre fois plus, est dans le premier cercle des grands opérateurs mondiaux et compte bien y rester : une sortie de crise pleinement réussie. Dans un cas, le conseil d'administration a cédé aux demandes des marchés au nom de la « valeur actionnariale » qu'il était censé préserver, l'autre a su résister pour le plus grand bénéfice des parties prenantes. Un management s'est trompé dans les priorités et la mise en oeuvre des actions à mener, l'autre n'a pas fait d'erreurs et a su motiver et redonner confiance. Une entreprise devenue « sous-critique » a été sacrifiée, l'autre est repartie de l'avant avec le plan Next de Didier Lombard. Pour les entreprises comme pour les États en sortie de crise de liquidité, il s'agit aujourd'hui de faire du FT et non du BT.

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Commentaires 2
à écrit le 11/02/2010 à 17:02
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Et oui, un management français qui gagne. On devrait s'en féliciter. Nous les Français qui avons toujours l'idée que c'est mieux ailleurs, que les dirigeants ne sont pas bons, etc... Tous les pisse-froids vont réagir à cet article pour hurler au sca...

à écrit le 11/02/2010 à 13:11
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cet article est vrai scandale, c'est le gala au profit des organisateurs de galas. Où va la Tribune en publiant un article où l'auteur, l'un des plus mauvais managers qu'il y ait eu ces derniéres annés, en fait n'a pour intention, que de se faire mou...

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