Lutte contre la corruption : une vraie loi s'impose

Par Thomas Baudesson et Charles-Henri Boeringer, avocats chez Clifford Chance Paris et Hong Kong.

La France, tout comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, a vocation à jouer un rôle de premier plan dans le maillage juridique et judiciaire international de la lutte anticorruption. Non seulement par le positionnement de ses grandes entreprises au niveau international, mais aussi par son poids économique et politique dans certaines régions durement touchées par la corruption comme l'Afrique.

Pourtant, la France ne semble pas tenir son rang dans ce combat. Les moyens d'enquête effectivement mis à la disposition des autorités judiciaires et de la police sont notoirement insuffisants. L'engagement politique en la matière ne dépasse guère le stade des déclarations d'intention. D'ailleurs, les experts du Groupe d'États contre la corruption, alias le Greco, s'interrogent, dans leur rapport d'évaluation de la France, publié le 19 février 2009, sur l'absence totale de condamnation définitive pour corruption d'agent public étranger "malgré l'importance économique de la France et de ses relations historiques et privilégiées avec certaines régions du monde considérées comme fortement affectées par la corruption". Et il faut bien reconnaître que l'inaction des autorités judiciaires sur le dossier des "biens mal acquis" confirme cette volonté de ne pas ouvrir la brèche.

Pour l'avenir, la suppression annoncée du juge d'instruction ne peut qu'inquiéter : les intérêts financiers et stratégiques en jeu dans les affaires de corruption imposent qu'elles soient traitées avec l'indépendance judiciaire la plus absolue. Le parquet, en l'état, ne satisfait pas cette exigence.

Au-delà des résistances procédurales que contient la loi française, comme la prescription courte, le monopole du parquet sur les poursuites extraterritoriales, et la non-reconnaissance de la qualité à agir des associations de lutte contre la corruption, la réponse pénale classique est insuffisante en France car elle n'appréhende que le dernier maillon de la chaîne des responsabilités. Elle ne permet pas d'impliquer suffisamment ceux qui, au plus haut niveau, ont délibérément fermé les yeux sur les agissements commis par leurs subordonnés ou leurs filiales.

Quelques rares décisions ont, certes, dégagé la notion de complicité pour inaction volontaire qui pourrait permettre d'appréhender un certain laisser-faire. Mais cette jurisprudence encore incertaine ne permet pas de pallier l'absence d'un texte posant de façon claire les conditions d'une incrimination de ceux qui ont volontairement privilégié l'intérêt de leurs affaires sur l'éthique et le développement.

Autrement dit, il manque en France une loi anticorruption moderne. Cette carence est mise en évidence par l'adoption récente au Royaume-Uni du Bribery Act qui rejoint le Foreign Corrupt Practices Act américain (ou FCPA, redouté de toutes les entreprises globalisées, américaines ou non) au rang des dispositifs anticorruption les plus vigoureux.

Entre autres mesures fortes, ce nouveau texte incrimine le fait, pour une société anglaise, ou une société exerçant une activité en Angleterre, de ne pas avoir pris les mesures préventives adéquates pour éviter les actes de corruption au sein de son organisation, où que ce soit dans le monde. Il propose donc une nouvelle façon d'appréhender la fraude en incriminant, en plus de ceux qui l'ont commise, l'organisation qui n'a pas su l'éviter.

Tout comme le FCPA, le texte anglais oblige les entreprises qui y sont soumises à prendre maintenant leurs responsabilités et la part de premier plan qui leur revient dans le combat mené conte la corruption. En incriminant l'insuffisance de l'action préventive, il contraste cruellement avec la logique française dans laquelle la passivité suffit à s'assurer l'immunité.

La France souhaite-t-elle tenir son rang international dans la lutte contre la corruption ? Elle n'a jamais su le démontrer. Mais maintenant que les autres pays européens commencent à faire preuve de volontarisme en la matière, le maintien de sa position minimaliste risque de la décrédibiliser.

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