Les défis de la nouvelle hiérarchie industrielle mondiale

La montée en puissance de la Chine et d'autres économies émergentes dans la production mondiale devrait avoir de profondes répercussions pour les investisseurs.
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La Chine et les autres marchés émergents sont en train de reprendre la première place mondiale dans le secteur manufacturier, place qu'ils avaient cédée à l'Europe, puis aux États-Unis à partir du début du XIXe siècle. En 1999, la production manufacturière mondiale était de 5.388 milliards de dollars. Dix ans plus tard, même au creux de la récession en 2009, elle a augmenté de 20 % à 6.460 milliards. Dans le même temps, le nombre d'emplois industriels a progressé de 5 %, passant de 301 millions à 316 millions, et la production par salarié a crû de 14,2 %, soit un gain de productivité de 1,3 % par an. Dans cette période, l'évolution la plus marquante aura été l'augmentation du poids de la Chine dans la production manufacturière mondiale, qui est passé de 7,5 % du total en 1999 à 18,6 % en 2009 - la part de l'Inde progressant elle de 1,1 % à 2 % et celle du Brésil de 1,4 % à 2,4 %. Les plus forts reculs ont été constatés aux États-Unis (de 25,8 % à 19,9 %) et au Japon (de 16,7 % à 8,4 %), alors que la part de l'Europe est restée globalement inchangée à environ 28,9 %. La Chine, l'Inde, le Brésil, le Mexique et les autres marchés émergents tels que l'ex-URSS ont accru leurs parts de la valeur ajoutée dans la production mondiale, en passant d'un plancher de 10,5 % en 1970 et seulement 14 % en 1990, à 37 % aujourd'hui.

La rapidité de cette évolution est sans précédent. À titre de comparaison, pendant sa phase d'expansion la plus rapide, la part de l'Europe dans la production mondiale a augmenté de 19 % sur une période de trente ans (entre 1830 et 1860), alors que celle des États-Unis s'est accrue de 16 % sur la période 1900-1920.

Par conséquent, la croissance de l'emploi manufacturier mondial au cours de la dernière décennie est entièrement imputable aux économies émergentes. En Chine, malgré la restructuration des entreprises publiques, la croissance dans le secteur privé a entraîné une augmentation de 1 % des emplois dans le secteur manufacturier à 79,5 millions en 2009. La progression a été encore plus rapide au Brésil (de 48 % à 14 millions) et en Inde (de 13 % à 92 millions). Parallèlement, ces emplois ont diminué de 22 % à 15,5 millions aux États-Unis et de 14 % à 11,4 millions au Japon. Le recul a été plus limité en Europe (de 6 % à 38,8 millions). La sous-traitance depuis les pays développés vers les pays émergents, en particulier après l'accession de la Chine à l'OMC en 2001, semble avoir largement contribué au déclenchement de cette évolution. Les multinationales ont profité des écarts importants de coûts salariaux et ont pu s'implanter dans un nombre beaucoup plus important de marchés. Cela étant, dernièrement, la priorité des entreprises est davantage axée sur la présence commerciale dans les pays émergents.

Ces mutations vont-elles se poursuivre ? L'évolution du rapport entre la productivité et les coûts salariaux entre les différents pays est la variable la plus déterminante. Aux États-Unis, la production génère 51,20 dollars par heure travaillée, contre 10,90 dollars en Chine et seulement 0,8 dollar en Inde. La production nominale par heure travaillée a enregistré un taux de croissance annuel moyen de 14,3 % au cours de la dernière décennie en Chine, contre 4 % aux États-Unis et 10 % en Inde. Les entreprises profitant du différentiel de coûts salariaux, les salaires ont déjà commencé à converger. En Chine, le salaire horaire réel dans la production enregistre une croissance moyenne de 12,7 % depuis 1999, alors qu'aux États-Unis il a reculé de 0,5 %. De nouvelles augmentations significatives des salaires sont probables. Ce phénomène de rattrapage pourrait assombrir les perspectives bénéficiaires des modèles économiques qui utilisent la sous-traitance. Néanmoins, alors que les dépenses des États et des consommateurs se contractent dans de nombreux pays développés, ce rattrapage reste favorable du point de vue de la demande mondiale.

Dans ce contexte, le consommateur des pays émergents peut, grâce à l'augmentation de l'emploi et des salaires, devenir le nouveau moteur de croissance de l'économie mondiale. Les investisseurs devraient dès lors privilégier les secteurs qui bénéficient de cette tendance - la consommation, les services financiers et l'immobilier axés sur la Chine, ainsi que les autres entreprises phares des pays émergents - et éviter les sociétés exportatrices de biens manufacturés des pays émergents désavantagés par des ratios salaire-chiffre d'affaires élevés et une dépendance trop forte envers la demande des marchés développés.Copyright Project Syndicate

Par Jonathan Garner Responsable mondial de la stratégie pour les pays émergents chez Morgan Stanley

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