La cacophonie dans la zone euro coûte cher !

Par Olivier Lecomte, professeur de finance à Centrale Paris.
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Dans une phase d'incertitude économique, quel langage tenir aux marchés ? On se doute bien qu'un message mal construit encourage le troupeau à se précipiter du haut de la falaise, entretenant, voire aggravant la crise. Mais comment cela fonctionne-t-il ?

Des travaux universitaires menés dans différentes institutions (entre autres la Réserve fédérale américaine et l'université de Warwick) sur « l'incertitude et les divergences d'appréciation en matière de prévision économique » fournissent de fructueux enseignements. Sur la base d'une analyse statistique fine des enquêtes menées sur une longue période auprès de prévisionnistes et de leur confrontation à la réalité, elles mettent en évidence le distinguo essentiel qu'il convient de faire entre anticipation (ce que l'on prévoit), incertitude (probabilité de réalisation de l'anticipation) et dissentiment (qui porte sur l'une ou sur l'autre).

Première observation, contraire à l'intuition, ce n'est pas parce que les prévisionnistes divergent sur l'avenir que l'incertitude perçue est plus grande : ils peuvent être sûrs d'eux et en désaccord profond. En revanche, le niveau de désaccord est sensiblement corrélé à l'intensité du risque perçu : plus les avis divergent, plus elle est élevée. Enfin, plus l'incertitude croît, plus le désaccord sur cette incertitude augmente, une « incertitude au carré » en quelque sorte.

Ainsi l'incertitude n'explique pas nécessairement la perception du risque, mais anticipation du risque et divergence s'entretiennent et créent de la volatilité, dans un probable effet autoréalisateur. Extrapolons ces résultats à la crise de la zone euro. L'incertitude sur la solvabilité de certains États ne serait donc pas, en soi, la cause unique ou même principale de l'agitation. En revanche, on a un problème de perception et de subjectivité, le développement d'une anticipation négative sur cette solvabilité engendrant une situation chaotique, des mouvements violents sur les marchés et une hausse des primes de risque.

Comment traduire ces observations dans le discours des gouvernements ? Faut-il s'en prendre aux « spéculateurs » comme l'a fait Zapatero, ou à « l'irrationalité des marchés » comme Christine Lagarde cette semaine ? Ces messages, pas forcément infondés, n'ont aucune chance d'agir sur les anticipations et donc sur la nervosité des marchés. Faut-il annoncer un renfort du dispositif européen de stabilisation financière pour réduire l'incertitude ? Pas sûr au vu de ce qui précède.

C'est à l'anticipation du risque et au dissentiment qu'il faut s'attaquer, par un message crédible. Plutôt que d'augmenter les garanties, il serait vital de parler d'une seule voix. La cacophonie qui règne dans la zone euro n'est pas juste médiocre : elle coûte ! Ensuite, les plans de réduction des déficits devraient être accompagnés d'éléments tangibles sur les sources de croissance. Or, pour tous les pays, excepté l'Allemagne, on entend surtout des déclarations volontaristes, variations sur le thème de « on va aller la chercher avec les dents ».

Comment alors donner des gages de croissance à court terme, qui ne soient pas fondés sur la relance budgétaire ? À dire vrai, on ne voit guère qu'une seule option : que l'Allemagne accepte son rôle de locomotive et prenne des mesures immédiates pour accroître sa demande intérieure, dont on sait qu'elle profitera substantiellement aux autres pays de la zone, à commencer la France, son premier fournisseur. Sa population ne s'en plaindrait vraisemblablement pas, et ça ne dégraderait pas plus sa situation financière que d'être dans la position inconfortable de garant en dernier ressort - et à contrecoeur - de la solvabilité de l'eurozone.

Finalement, s'il y a de l'irrationalité autoréalisatrice du côté des marchés, c'est aussi parce que du côté des gouvernements il manque concorde et initiatives crédibles.

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