365 jours de solitude

Par Sophie Péters, éditorialiste à La Tribune
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Quand les lumières de Noël scintillent, quand la joie sonne comme une injonction, s'il y a bien une situation insupportable, c'est celle de la solitude. En cette veille de fêtes, sait-on que la France a fait de ce fléau social très contemporain sa « grande cause nationale » pour l'année 2011 ? Les médias ont été plus diserts sur les déchirements des Bettencourt et nos épisodes neigeux. Choisie par François Fillon, le 23 novembre dernier, parmi d'autres causes comme l'autisme et les accidents domestiques, la solitude est passée inaperçue. C'est dire combien elle pèse sur notre moral. Et quel miroir dérangeant elle tend à l'ensemble des Français aux prises avec un mal-être croissant.

On pourrait éclairer les différents visages de la France à la lumière de ses grandes causes. Créé en 1977 et attribué au comité « Espoir pour le cancer », ce titre a traversé les années en embrassant diverses questions, la plupart à caractère médical. Les problématiques sociétales apparaissent en 2010 avec la lutte contre les violences faites aux femmes. Une autre façon de poser les questions de santé publique. Et de reconnaître l'état de détresse de nos contemporains. Cette « Solitude » est emblématique à plus d'un titre.

C'est d'abord une réalité. Une étude du Bipe de 2009 fait apparaître que 42 % du total des ménages français est constitué d'un seul adulte au foyer. Et ces ménages solos (aujourd'hui essentiellement féminins, demain également répartis entre hommes et femmes) devraient augmenter à un rythme soutenu. Les générations qui vont succéder à celles nées avant 1950 font l'expérience du divorce de masse. Ainsi, le nombre de solitaires actifs et de solitaires ex-actifs aura progressé de 1,4 million entre 2005 et 2015. Quant aux célibataires, leur nombre a doublé en trente ans.

La solitude, c'est aussi un sentiment. 91 % des Français considèrent la solitude comme « un problème important », selon un sondage TNS Sofres. Parmi les 4 millions de Français se déclarant seuls, 56 % imputent leur mal-être à une rupture familiale, révèle de son côté la Fondation de France. Un tiers des Français estiment que leurs relations familiales se résument à quelques rencontres annuelles. L'étiolement de la famille constitue le principal facteur d'isolement. La solitude ne concerne pas que les petits vieux oubliés pendant la canicule : un tiers des moins de 25 ans se disent touchés contre 28 % des seniors, et 40 % des femmes de 35-49 ans contre 28 % des hommes du même âge. À l'heure où on communique à la vitesse de la lumière, où l'on se parle chaque minute par SMS ou sur Facebook, on continue d'ignorer son voisin de bureau ou de palier. Paradoxe d'une société de la performance et de la réussite, perfusée au bien-être et à la perfection, qui laisse sur le bas-côté un nombre croissant d'individus qui n'ont pas toujours les capacités (physiques, morales, ou/et matérielles) de leur autonomie. Ceux qui s'en sortent le mieux, qui ont « réussi », ont peur d'être envahis, voire « plombés » par les problèmes des autres. La solitude est donc aussi un enjeu politique. Première à s'en emparer, Martine Aubry avec son « Care » qui tient plus de la compassion que de l'action. François Fillon a-t-il voulu, avec son choix, faire entrer la droite sur ce terrain ? Le drame serait de se cantonner à une charité médiatique ou de se limiter à réformer le financement de la dépendance des personnes âgées. « Il y a une difficulté française à fournir une réponse pratique et crédible », note Alain Ehrenberg. L'auteur du « malaise social » invite à dépasser la protection à l'égard des risques. Car le lien social s'affaiblit tandis que l'individu est surchargé de responsabilités et d'épreuves qu'il ne connaissait pas auparavant. L'important ? Mettre l'accent sur le concept de capacité : aider les gens à s'aider eux-mêmes, les rendre capables de saisir des opportunités. Au-delà de la solitude, la cause nationale 2011 interrogera la solidarité. Parce que l'attention aux autres fabrique du lien, relie les individus au lieu de les isoler, commençons à nous y intéresser dès aujourd'hui sans attendre demain... sans attendre Noël.

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