Tatie, le boulanger de 1993 et la comtesse Du Barry

Par Stéphane Soumier, rédacteur en chef de BFM Business.
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Allons-nous passer encore un an à nous battre contre les évidences ? J'écoutais récemment l'économiste Philippe Dessertine raconter le talent que nous avions à toujours croire au Père Noël. Et je ne sais pas si vous en avez fait l'expérience au moment des repas de fête (ils ont un mérite, ces réveillons, celui de nous sortir de notre monde trop étroit), si vous avez sondé la vieille tante ou le cousin de province sur les efforts indispensables qui nous attendent ? Moi je l'ai fait, pour réaliser à quel point nous étions mal préparés à affronter ce qu'on appelle "la rigueur". Tenez, prenez par exemple les grandes masses macroéconomiques. En 1993, le déficit consenti pour affronter la crise approchait les 160 milliards de francs, nous allons sortir de cette crise avec un déficit de 160 milliards d'euros ! Eh bien, cette coïncidence, qui devrait agir comme un électrochoc, peut avoir un effet radicalement inverse quand on commence, au fil de la discussion, à comparer le prix du pain, le prix du lait, des clémentines ou du jambon sur la même période. Vous vous doutez bien qu'au cours d'un repas de famille plus personne ne sait sérieusement combien valait la baguette de pain en 1993 (et je dois vous dire, après enquête, que l'exercice relève de la gageure.

La réforme Raffarin est passée par là, le boulanger de 1993 n'a plus rien à voir avec le boulanger de 2010 et sa production est incomparable, disons quand même qu'on était entre 3 et 4 francs). Donc, personne n'en sait rien mais chacun a son idée, et l'idée (totalement fausse, mais c'est ainsi) c'est qu'on est resté dans des parités comparables à celles du déficit, passant globalement de 1 franc à 1 euro. "D'accord Tatie" (c'est le petit nom de ma vieille tante) "mais c'est du déficit, c'est de l'argent qu'on a emprunté, qui nous coûte cher, qu'il va falloir rembourser !"

- De quoi tu me parles (répond la tante) ? "Plaie d'argent n'est pas mortelle?, reprends donc un petit chocolat." C'est tout le problème, Tatie, cette plaie d'argent-là est-elle mortelle ? À quelle échéance ?

Un électrochoc, quand même, si vous emmenez Tatie devant l'un des nombreux sites Internet qui font vivre en direct l'accroissement inexorable de notre endettement. On a même du mal à comprendre le chiffre : 1.673.823.110.394 (à la seconde où j'écris), cela fait numéro de Sécu, ou bien compte bancaire. C'est surtout le rythme du compteur qui a un peu affolé Tatie. Et c'est là que j'ai fait une erreur stratégique. Emballé par ma performance, je suis allé voir ce que ça donnait pour la dette américaine : 13.922.660.450.128. Tatie, pas folle, a bien vu qu'il y avait un chiffre de plus, et que le compteur tournait beaucoup plus vite, elle a éclaté de rire : "tu ne crois pas qu'ils ont plus de problèmes que nous ? Allez, reprends donc un petit chocolat."

Alors j'ai profité du chocolat, en me disant que finalement c'est sans doute elle qui avait raison. Regardons les choses en face, seule une hausse "massive et durable" de la fiscalité, directe et indirecte, peut, en l'état, arrêter les compteurs. Qui aura le courage de la proposer ? Et serait-elle, même, efficace ? Elle pourrait, tout le monde le sait, tuer le peu de croissance qui nous reste. Et nous, particuliers, que faisons-nous de nos arbitrages de fin d'année ? Est-ce que vous commencez, vous, à vous préparer à cette hausse "massive et durable" (adjectifs utilisés par le président du Cercle des fiscalistes, Philippe Bruneau) ? Je dois vous avouer que je suis au bord de la lâcheté, au bord de me dire que j'ai encore un peu de temps, que seule la présidentielle pourra décider du niveau de la purge. Oui, monsieur Dessertine, c'est effrayant, mais en ce début d'année, je me sens comme la comtesse qui demandait "un instant" au bourreau de la Terreur. On se demande d'ailleurs ce qu'elle faisait encore à Paris en 1793, la comtesse Du Barry. Pensait-elle que ses charmes la sauveraient encore ? Ou bien, plus simplement, continuait-elle à croire au Père Noël ?

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