2012, l'année anticapitaliste

Par Eric Benhamou, éditorialiste à La Tribune.
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C'est un jeu bien connu des psychologues. Regroupez-vous deux par deux et l'un des membres de chaque groupe reçoit une somme de 100 euros. Il devra cependant en rétrocéder une fraction de son choix à son coéquipier. Mais si l'autre n'accepte pas l'offre, personne ne recevra rien. Curieusement, dans la majorité des cas, les joueurs préfèrent ne rien avoir du tout plutôt que de laisser l'autre profiter d'une situation perçue comme injuste. Tout perdre plutôt que de se sentir floué. C'est bien ce sentiment humain de jalousie vindicative qui pourrait provoquer demain quelques cataclysmes électoraux. A ce titre, 2012 se présente comme l'année de tous les dangers. Imaginons ainsi que l'impossible ait lieu, le 6 mai 2012 : victoire de Marine Le Pen à l'élection présidentielle contre Dominique Strauss-Kahn à la faveur d'un ralliement massif de l'UMP et d'un taux d'abstention record.

Le programme est radicalement anticapitaliste et antimondialiste."L'Etat national est le seul recours", proclame la nouvelle élue qui présente son train de mesures de sauvegarde économique : sortie du FMI, interdiction des raids boursiers étrangers, préférence nationale et contrôle des prix, taxes douanières contre les États qui faussent la concurrence (tous les pays non européens), interdiction des agences de notation et de la spéculation, annonce de la sortie prochaine de la zone euro. L'apologie du profit est rejetée, les délocalisations prohibées et les licenciements interdits pour les grandes entreprises faisant des bénéfices.

La victoire, deux mois plus tôt, de Vladimir Poutine à la présidence de la Russie, sur un programme résolument antioccidental et anti-OMC, privilégiant ses relations avec les dictatures biélorusse et kazakh, aurait dû alerter. Comme pour la montée en puissance inattendue de la vieille garde maoïste au bureau politique du PC chinois, sur fond de flambée des prix, de chômage et de délocalisation massive au Vietnam et au Bangladesh, à la veille de la désignation du prochain président. Le coup de massue arrive le 3 novembre aux États-Unis : les hésitations des démocrates et des républicains permettent à Sarah Palin, leader des Tea Party, de remporter l'élection présidentielle.

Le message est sans concession : immigration zéro, augmentation des droits de douane sur toutes les importations, interdiction de sous-traiter à l'étranger, suspension des relations commerciales avec la Chine tant qu'elle n'accepte pas un taux de change flottant. Les mesures sociales sont radicales : restriction sur les licenciements, obligation de présenter un budget fédéral équilibré, imposition à 100% des revenus de plus de 250.000 dollars (les fraudeurs étant déchus de leur nationalité). La finance n'est pas oubliée : retour au "Glass Steagall Act", abolition de la Fed, délit d'initié puni de dix ans de prison, limitation des banques d'affaires. Objectif : libérer les Etats-Unis du "big government" et rendre le pays aux Américains. Quitte à plonger l'Amérique, comme le redoutent le patronat et Wall Street, dans une crise aussi profonde que celle de 1930.

Passé la stupeur, chacun s'interroge : comment expliquer ce retour en force de réactionnaires aigris ? Comme toujours, le contexte économique a une influence déterminante sur les résultats électoraux. Et celui de 2012 n'est pas bon. La sortie de crise tarde, et les frustrations s'accumulent depuis 2008. Les mesures de relance ont perdu de leur effet, les taux d'intérêt remontent brutalement, la croissance mondiale est en berne, avec une Chine fatiguée et instable. Les réductions de salaires deviennent la règle, le low-cost envahit nos vies, les jeunes restent chez leur parents ou s'expatrient en masse en Afrique ou en Asie.

Il est désormais clair pour tout le monde, y compris pour les classes les plus favorisées jusqu'ici, qu'il va falloir se serrer la ceinture. Mais ce n'est pas tant cette frugalité imposée qui déclenchera la tempête. On peut toujours accepter des sacrifices en attendant des jours meilleurs. Mais le problème aujourd'hui est que l'opinion a le sentiment que le jeu est truqué, que les inégalités sont à la fois structurelles et grandissantes, qu'une élite de plus en plus réduite profite de l'effort des contribuables. Ce sentiment rend l'ajustement, forcément douloureux, insupportable. Tout perdre alors, plutôt que de se sentir victime d'une tricherie. Un scénario peut être improbable en 2012, mais après ?

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Commentaire 1
à écrit le 13/03/2011 à 6:53
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probable .... effectivement ... et le problème c'est qu'entre ce scénario (triste certes) et le discours injuste des bien pensants pour rejeter la faute sur les fonctionnaires et les acquis sociaux .... qui n'ont pour but que quoi ??? que serrer la c...

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