La sortie impossible de la zone euro

La sortie d'un pays de la zone euro aurait des conséquences tellement dramatiques pour les finances publiques et privées qu'elle est en réalité impossible à imaginer. Les recettes des années 1960 ne peuvent plus s'appliquer de la même manière dans une Europe interdépendante.
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D'excellents esprits, comme François Heisbourg, estiment que la mise en congé de l'euro des pays les plus faibles résoudrait la crise actuelle. Ils se trompent d'époque. Il est urgent de dissiper les illusions. Pour comprendre ce qui se passerait, revenons aux dévaluations balisées d'avant la monnaie unique. Elles s'imposaient aux gouvernements suite à une diminution des réserves de change et à la perte de la compétitivité-prix, mais ils conservaient très généralement le choix du moment et pouvaient jouer sur un effet de surprise relative.

Il en irait tout autrement en cas de sortie de la zone euro car il n'existe pas de procédure de sortie de la zone euro. Celle-ci est à inventer ce qui évidemment passe par une période de négociation impliquant plusieurs institutions et 17 pays.

Les fuites seraient inévitables et une spéculation tous azimuts se déchaînerait. Elle serait d'une autre ampleur que celle qui se manifestait lors d'une dévaluation dans les années 1960 lorsqu'il existait un contrôle des changes, qui limitait les sorties de capitaux. Aujourd'hui, les clients des banques du pays concerné ouvriraient massivement des comptes dans les banques de pays étrangers et transféreraient leurs dépôts, suscitant une grave crise bancaire. La négociation intervenant après se ferait donc dans les pires conditions. Les transactions seraient paralysées car il faudrait procéder à un échange des billets, en supposant que la nouvelle monnaie soit matériellement disponible.

Lors des dévaluations d'antan, il s'agissait de constater une perte de compétitivité et de rétablir l'équilibre de la balance des paiements. L'effet prix devait contribuer à réduire le déficit externe, le prix des exportations baissant en devises et celui des importations s'élevant dans la monnaie nationale. Pour accroître le jeu de ce mécanisme, une politique restrictive d'accompagnement, nécessaire à la réussite de la dévaluation, cherchait à opérer un transfert de la demande interne vers la demande externe, en faisant pression sur les salaires ou en augmentant les impôts. La réussite de l'opération dépendait encore plus de la situation des marchés extérieurs. S'ils étaient en forte croissance et s'il existait des capacités de production correspondant à la demande étrangère, la progression des exportations pouvait être spectaculaire.

Ces mécanismes sont toujours valables en 2011. Aussi, ceux qui voient dans la dévaluation la fin de la rigueur commettent un contresens complet. Les « marges de manoeuvre » ne s'élargissent pas, elles se resserrent. Il n'existe pas de dévaluation réussie sans politique de rigueur. En outre, s'agissant des marchés extérieurs, la situation de la zone euro n'est pas celle d'une forte croissance. Quant aux capacités de production disponibles pour l'exportation... Est-ce qu'un pays comme la Grèce, qui a peu investi et dont la production est peu tournée vers les marchés extérieurs, sortirait gagnant ?

Ce qui serait en revanche nouveau seraient les effets liés au poids de l'endettement en devises des entreprises et des particuliers, qui a beaucoup augmenté avec les progrès de la financiarisation. Leur endettement augmente automatiquement du taux de la dévaluation puisque les dettes libellées en euros devront être remboursées en euros. À voir les pays d'Europe centrale (Hongrie et pays Baltes...), obligés de dévaluer, on peut constater les dégâts : entreprises en faillite, particuliers ruinés obligés de céder à vil prix leur logement (les Hongrois avaient emprunté en francs suisses...).

Pour l'État endetté, la situation serait également catastrophique. Il ne pourra probablement pas faire face à l'alourdissement de son passif. Il a devant lui deux options.

Soit il procède à une dénonciation unilatérale de sa dette, ce qui veut dire un arrêt des financements externes. Les dommages sur l'ensemble de la zone euro seraient considérables. La moitié de la dette des quatre pays actuellement menacés étant détenue par des résidents de la zone, les banques et les institutions financières seraient menacées. Il suffirait qu'un seul pays procède à une dénonciation, même partielle, pour qu'un effet domino soit attendu. L'ensemble de la zone serait en crise.

Soit, il cherche à atteindre le même but au moyen d'une négociation multilatérale. Dans les années 1990, il y a eu des mécanismes originaux, comme le plan Brady, qui ont permis le rachat des dettes existantes à 50 % de leur valeur. De tels dispositifs n'ont été consentis que pour des pays en voie de développement après de longues négociations. Une situation plus comparable est celle de pays européens non membres de la zone qui ont dû dévaluer leur monnaie.

Certes, les institutions de Washington et l'Europe leur apportent une aide. Mais les efforts demandés en contrepartie sont considérables. Le cas letton est particulièrement dramatique, hausse du chômage, baisse des salaires et des prestations sociales de l'ordre de 20 %, fermeture de services publics. Dans l'Europe du froid, qui a subi le joug soviétique, nous tolérons que des populations de pays appartenant à l'Union souffrent. À partir de quel degré de latitude et de longitude cela devient-il intolérable ? N'oublions pas que les pays qui auraient quitté la zone seraient dans la même situation juridique que les pays Baltes.

Bref, ceux qui croient qu'une opération chirurgicale consistant à couper le membre malade, par exemple la Grèce, peut être une opération propre à cicatrisation rapide se leurrent. Compte tenu des interdépendances économiques et financières et des réseaux qui se sont tissés ces dernières décennies, ce serait une opération sale avec des risques de gangrène pour l'ensemble de la zone.

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