Les Français atteints de "sarcopénie"

Par Sophie Péters, éditorialiste à La Tribune.
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Les kinésithérapeutes et les sportifs connaissent bien ce syndrome : la sarcopénie, du grec "sarcos" (chair), et "pénie" (disparition). "Un processus physiologique qui correspond à la diminution de la masse musculaire à mesure que l'on avance dans l'âge, la graisse prenant le pas sur le muscle et modifiant notre composition corporelle alors que le poids reste apparemment identique avec le temps", nous apprend le docteur Christophe de Jaeger, dans son ouvrage "Le muscle, le sport et la longévité". Un symptôme d'autant plus insidieux que la ligne reste toujours aussi impeccable mais que le corps perd de son énergie, de sa force, altérant à terme le métabolisme.

Pas de doute : les Français souffrent de sarcopénie. D'apparence plutôt en forme, leur tonus aurait fondu. Fatigués et déprimés comme l'a souligné le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, plongés dans le paradoxe où on croit plus au bonheur individuel qu'au bonheur collectif, où les rapports humains sont partout tendus, de l'école à l'entreprise en passant par l'hôpital ou les familles. "On voit monter la fracture du pacte républicain, avec des individus qui ne supportent plus ni l'éducation, ni l'administration, ni l'entreprise et mettent en place des stratégies de contournement", constate le médiateur. Au dernier forum de Davos, une petite voix s'est élevée pour tirer la sonnette d'alarme de notre dégénérescence. Heinz Schüpbach, directeur de l'Ecole de psychologie appliquée à l'université suisse du Nord-Ouest, a prévenu : à l'avenir, le plus grand défi pour le système de santé mondial sera celui des pathologies liées au stress. Constat de son confrère Toni Brühlamm, expert en "burn out" : "l'économie influe trop sur la société. Il y a tout simplement trop d'insistance sur les profits, l'argent et la performance. Ce n'est simplement pas sain."

Jamais notre société n'est apparue aussi désenchantée. La crise financière, comme la crise politique, est d'abord une crise de la "ressource humaine", une crise de la réduction de la masse musculaire favorisant une fatigue générale, où, comme dans la sarcopénie, l'organisme s'avoue même fatigué pour une activité quotidienne apparemment anodine, assommé par des tableaux de bord et des procédures à tout va, où le moindre service lui est rendu par des serveurs vocaux, et où, du coup, "l'aquabonisme" domine. Une bureaucratie qui "enferme la responsabilité personnelle de chacun dans un petit secteur, mais inhibe la responsabilité et la solidarité de chacun vis-à-vis de l'ensemble dont il fait partie. Bureaucratie et compétitivité sont les deux mamelles de notre type de société. La première ignore les êtres concrets, la seconde les manipule", note Edgar Morin, dans son dernier livre "la Voie". D'où des aspirations à faire prévaloir la vie privée, à se réfugier dans une sphère autoprotectrice, alimentée par des injonctions aux effets pervers visant à "se faire du bien".

On pourrait parler de "désymbolisation organisationnelle" selon la formule de Bénédicte Vidaillet, maître de conférences à l'université de Lille I, qui génère, pour les individus, la quasi-impossibilité d'éprouver au sein des organisations une consistance subjective, c'est-à-dire de s'y sentir pleinement exister puisque non reconnu et non considéré.

Un ultime paradoxe demeure, porteur d'espoir : celui d'une "archipélisation" d'une société encore en quête d'un but commun. Le remède, on l'a vu, n'est pas dans les urnes où le populisme menace, nourri à droite par un discours sur la peur et à gauche par celui sur la "victimisation", mais dans l'action : "C'est de mener une réflexion collective sur le vivre ensemble au risque sinon de remettre en cause ce qui fait la force de la France. Et ne pas laisser la main à la comptabilité mais au sens du service et du projet", assène Jean-Paul Delevoye, avec une formule choc : "passer de la France de Domenech à la France de Laurent Blanc". Elle résume, à elle seule, le défi qui nous attend pour 2012. D'une France qui doit apprendre à jouer collectif avec ou sans entraîneur. À retrouver sa masse musculaire, et donc son tonus, avant que la sédentarité et la déprime n'aient eu raison d'elle.

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