Ben Laden, WikiLeaks et l'arme du secret

Par Jacques Barraux, journaliste
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Une villa-bunker dont les occupants étaient reliés au monde extérieur par des messagers, comme dans les tragédies de Corneille et de Racine. En vivant dans le secret, Ben Laden a tenu ses poursuivants à distance pendant dix ans. La même tactique a permis aux forces spéciales américaines de préparer pendant de longs mois une opération que la moindre indiscrétion de type WikiLeaks aurait immédiatement fait échouer.

La galaxie numérique n'est pas une maison de verre. À peine née, à peine saluée par les grands prêtres de la démocratie Internet, la « société de la transparence » est exposée à une forme de régression inattendue. La pratique du secret, l'obsession de la confidentialité reviennent en force dans le comportement des élites de la politique, de l'économie et des affaires.

D'un côté l'apothéose de l'information pour tous, de l'autre le retour à la pratique traditionnelle du pouvoir fondé sur la captation et le bouclage de l'information dite stratégique. Comme si la mise à la disposition des masses de l'outil numérique avait - pour l'instant du moins - moins d'impact réel sur le fonctionnement de la société que l'apparition de l'imprimerie à la Renaissance ou les débuts du télégraphe et du téléphone lors de la révolution industrielle. Il faut y voir la conséquence de trois phénomènes.

D'abord l'instabilité de la technologie. L'imprimerie et le téléphone ont été techniquement sûrs et opérationnels dès leur démarrage. La pratique des écoutes téléphoniques a vite constitué un risque pour l'utilisateur crédule mais un risque facile à déjouer par les publics avertis. À l'inverse, les entreprises et les particuliers restent exposés aux incertitudes inhérentes à une technologie qui enchaîne les innovations de rupture.

Ensuite l'explosion de la délinquance informatique. Les renseignements confidentiels dérobés en avril sur quelque 100 millions de comptes d'utilisateurs de la PlayStation Network de Sony ne sont qu'un épisode du feuilleton des manipulations attribuables aux communautés de type Anonymous, aux hackers isolés ou aux criminels reconvertis dans le virtuel. Le dialogue de l'internaute avec ses proches, sa banque ou les entreprises d'e-commerce est un terrain de chasse inépuisable.

Enfin la ruée des délateurs légaux. Pas une réunion publique, pas un rendez-vous supposé discret, pas un propos tenu dans un lieu public n'échappe à la traque des pourvoyeurs de scoops pour le compte des sites spécialisés. Les uns le font au nom de la vertu, les autres au nom de l'engagement militant, la plupart au nom de la dérision, arme absolue de la désacralisation des pouvoirs. D'où le réflexe d'autodéfense des élites menacées. De l'Occident libéral à l'Orient dirigiste, les contre-feux à WikiLeaks et Anonymous sont partout allumés.

Les dirigeants d'entreprise ont pris une longueur d'avance sur le personnel politique en matière d'information contrôlée. Les préparatifs d'une OPA, la planification d'un changement de stratégie, tout ce qui naguère associait deux ou trois niveaux hiérarchiques dans une entreprise se négocie souvent dans le cercle étroit de la direction générale et de ses conseils. C'est une source d'erreurs d'appréciation, de fautes de gestion - l'affaire Renault - et de frustration pour l'encadrement qui peut se croire soupçonné de déloyauté. Régression inévitable en période d'anarchie numérique ? Entre la fin de l'Ancien Régime et la République - la vraie, la troisième - la France a connu la Terreur et quatre régimes monarchiques. Espérons qu'il faudra moins de quatre-vingt-six ans pour construire et sécuriser une République numérique sans plafond opaque entre le plus grand nombre et quelques poignées de décideurs.

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