Notation : les États coupables mais pas responsables

La crise de la dette souveraine a tendu les rapports des gouvernements avec les agences de rating et montré l'importance des critères de gouvernance sur la solvabilité. Mais la notation sociale souveraine des États se heurte à de nombreux obstacles méthodologiques.
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Le rejet, le 9 mai, par le gouvernement grec de la dégradation de sa note de crédit par l'agence S&P n'est qu'un nouvel épisode de la profonde détérioration des relations entre les agences de notation et les États depuis le début de la crise de la dette souveraine. À la succession de rétrogradations de notes - Portugal, Espagne, Grèce, entre autres -, a répondu une volonté politique de durcissement de la réglementation des agences ou de réformes pour les affaiblir.

La notation des États a toujours été une question délicate car elle renvoie au principe de souveraineté. Mais le débat n'avait jamais franchi jusqu'ici les frontières des pays en développement. L'appartenance à l'Union européenne, et mieux encore, à la zone euro, était perçue par les investisseurs comme une assurance tous risques. Les agences de notation ont donc été prises au dépourvu. D'autant que, en matière de notation souveraine, il n'existe pas de modèle quantitatif d'évaluation qui permet de noter un pays en fonction de différentes variables. C'est donc l'opinion (souvent collégiale) des analystes qui prime pour estimer la solvabilité d'un État. L'épisode grec a cependant montré l'importance des critères de gouvernance dans la solvabilité des pays. C'est bien ce volet que toutes les agences de notation traditionnelles entendent muscler.

Pourtant, depuis plusieurs années se développe, dans une relative confidentialité, une notation sociale des États, en fonction de critères extra-financiers, qu'il est convenu d'appeler ESG (environnement, social et gouvernance). Cette approche, qui a accompagné le changement des entreprises en matière de responsabilité sociale, bute cependant sur de nombreux obstacles en ce qui concerne les États. Il est tout d'abord délicat pour un gérant d'assumer la nature forcément politique d'un jugement d'un État sur la base de critères ESG. Comment apprécier en effet le recours au nucléaire ou la question des libertés religieuses ? L'universalité des critères retenus est loin d'être garantie. La méthodologie reste ensuite embryonnaire. Contrairement aux émetteurs  entreprises, le problème n'est pas tant l'accès à l'information que son exploitation. Un nombre considérable de données ESG est produit par les institutions internationales, les États et les ONG. Toute la difficulté réside dans la façon de les organiser et de les pondérer.

La plupart des agences de notation sociale (Vigeo en France, Oekom en Allemagne ou Eiris en Grande-Bretagne...) ont bâti des indicateurs à partir des statistiques internationales mais aussi d'indices d'ONG, comme l'indice de Transparency International (corruption) ou l'indice Freedom House sur les libertés. Certaines banques, comme HSBC, ont développé leur propre évaluation, notamment sur la base des World Indicators de la Banque mondiale. D'autres acteurs ont développé des référentiels clairement militants, comme la FIDH avec le fonds Libertés et Solidarité. Vigeo fonde son classement sur la base de 120 indicateurs regroupés autour des trois thématiques pondérées de façon égale : l'État de droit et la gouvernance, la protection sociale et les solidarités, et la protection de l'environnement. Les indicateurs sociaux peuvent être ainsi pertinents pour jauger les sorties de crise. Mais, contrairement au monde des entreprises, dont le management est clairement identifié, il est difficile de développer une analyse analytique sur la base de ces critères, faute de dialogue avec les États. L'analyse reste donc prisonnière de la méthodologie avec des biais importants.

De fait, les enseignements tirés de la première crise de la dette souveraine sont peu convaincants. Certes, la Grèce était en queue de peloton du classement européen de Vigeo, avec de lourdes inquiétudes en matière de gouvernance, mais le pays, le seul de la périphérie de la zone euro à être touché par une crise budgétaire classique, était également le plus mal noté par les agences traditionnelles. De même, l'Espagne ou l'Irlande se trouvaient dans la (bonne) moyenne européenne du classement Vigeo, comme ils figuraient comme bons élèves de S&P ou Moody's avec leurs excédents budgétaires d'avant-crise. De fait, la notation sociale n'apporte pas d'éléments déterminants par rapport à l'analyse financière. Sa contribution ne peut s'apprécier que dans une perspective de long terme, et l'approche par le risque, la piste la plus intéressante pour les gérants, est encore trop peu développée.

II existe sans doute une attente. Mais il est peu probable que l'analyse extra-financière des États se développe à l'image des entreprises. Tout d'abord, parce que les États ne le souhaitent pas. Ensuite parce que l'activité n'a jamais été profitable. Et enfin, parce la valeur ajoutée apportée par la notation sociale n'a pas encore été démontrée. L'analyse extra-financière des États pourrait bien ainsi se limiter à une analyse risque pays.

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