Faut-il légaliser la consommation de cannabis ?

Par Frédéric Sautet, économiste, Mercatus Center à George Mason University
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Le débat sur la légalisation de la consommation de cannabis n'est pas nouveau. Déjà lors de sa prohibition aux États-Unis en 1937, plusieurs associations, y compris l'Association médicale américaine, préféraient que le commerce soit régulé plutôt qu'interdit. À l'inverse, en 1971, le président Richard Nixon déclara la "guerre contre la drogue". Malgré l'engagement total des États-Unis et de beaucoup de pays dans cette politique, le débat sur la légalisation du cannabis revient régulièrement sur le devant de la scène. Bien entendu, la politique de prohibition est toujours de rigueur, surtout pour les drogues dures  (ex : à l'occasion du G8 début mai, le président Nicolas Sarkozy a proposé un fonds international contre la drogue). Mais beaucoup remettent en cause son efficacité, et des voix s'élèvent, telles que celle de Stéphane Gatignon, maire de Sevran, pour légaliser la consommation de cannabis.

L'interdiction de consommer des substances psychotropes est officiellement fondée sur des raisons de morale et de santé publique. À la fin du XIXe siècle, les Ligues de tempérance américaines militent contre la consommation d'alcool et d'opium car le premier est consommé par les ouvriers, et le second par les femmes (qui l'utilisent médicalement). Mais de l'abstinence à la prohibition, il n'y a qu'un pas. Alors que le but originel était de convaincre les consommateurs potentiels des méfaits moraux et sanitaires de l'usage de ces substances, les ligues finissent par faire pression sur les législateurs pour utiliser la force de la loi afin d'empêcher les Américains de consommer alcool et drogues. Les États-Unis poussent alors à l'interdiction du commerce international de l'opium et du cannabis, et ils prohibent l'alcool en 1919.

 

Comme chacun sait, la prohibition de l'alcool ne fut pas un grand succès. Non seulement sa consommation ne fléchit pas, mais la violence engendrée par son commerce illicite devint un fléau social majeur. Après l'abrogation de la loi en 1933, la violence disparut presque du jour au lendemain. Ironiquement, pendant la prohibition, les ligues de vertu et les trafiquants se retrouvent du même côté. L'économiste Bruce Yandle appelle cela les "Bootleggers and Baptists" ; une situation où les prêcheurs approuvent la prohibition alors que les trafiquants en tirent profit. Ces derniers ont intérêt à soutenir financièrement les partis qui maintiennent cette politique, tandis que les politiciens peuvent la justifier par le discours moralisateur des prêcheurs. La corruption se répand ainsi peu à peu au sein d'une politique censée être édifiante.

Mais le problème le plus grave est celui des effets secondaires rencontrés par toute politique prohibitionniste. Lorsqu'il existe une divergence entre les préférences individuelles (en l'occurrence la demande d'alcool ou de cannabis) et la législation (qui en interdit leur consommation), la demande ne disparaît pas pour autant. Au contraire, un marché illicite apparaît où producteurs (trafiquants) et consommateurs continuent d'échanger. Les conséquences négatives d'un tel marché sont considérables. Premièrement, comme l'offre se raréfie par rapport à un marché légal, les prix augmentent, ce qui, malgré les risques accrus, pousse les trafiquants à capturer le marché et, in fine, en enrichit beaucoup. Deuxièmement, toute dispute entre trafiquants ne peut pas se régler en utilisant les mécanismes judiciaires officiels. La violence est donc souvent utilisée pour régler les différends entre trafiquants ou pour défendre des territoires de façon à limiter la concurrence. Une très grande partie de la violence urbaine dans le monde est liée à la prohibition des drogues - ce que reflète l'augmentation vertigineuse du taux d'incarcération depuis 1971 (il a été multiplié par plus de quatre aux États-Unis), avec peu de conséquences positives.

 

La consommation de drogue est généralement délétère. Mais la prohibition découle d'une vue paternaliste de l'État qui ignore les effets négatifs de la législation. Les économistes n'ont pas de jugement à porter, ils peuvent simplement prévenir en expliquant les conséquences de cette politique. Cependant, après presque cent ans d'interdiction dans le monde et des centaines de milliards de dollars dépensés dans la lutte, il est clair que la prohibition a échoué dans son but principal - la consommation de drogues, comme celle d'alcool en son temps, n'a pas diminué, bien au contraire - et les conséquences indirectes ont été socialement destructrices. De toutes les drogues, le cannabis est celle qui pourrait être le plus facilement légalisée. Il est temps d'accepter l'échec de la guerre contre la drogue au niveau mondial, et de changer de politique.

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