Les entreprises françaises versent-elles assez de dividendes ?

Par Jean-Charles Simon, chef économiste de Scor SE
Copyright Reuters

Les comptes nationaux de la France pour 2010, publiés récemment, éclairent les débats sur le partage de la valeur ajoutée et les dividendes à la lumière des dernières statistiques disponibles. Le taux de marge des sociétés non financières s'établit à environ 30 % en 2010. En légère augmentation par rapport à son point bas de 2009, qui résultait de la forte chute du dénominateur, la valeur ajoutée, mais toujours dans le bas de la fourchette resserrée dans laquelle il évolue depuis vingt-cinq ans. Il n'y a donc, en France, aucune déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment du travail et au profit du capital.

La composante résiduelle du partage de la valeur ajoutée, le montant des impôts de production net des subventions d'exploitation, a par ailleurs fortement diminué en 2010, du fait notamment de l'entrée en vigueur de la réforme de la taxe professionnelle. De sorte que, malgré le léger redressement du taux de marge, la part du coût du travail dans la valeur ajoutée progresse encore en 2010, à près de 67 %, son plus haut niveau depuis 1993. Dès lors, on peut s'interroger sur le sens de toute mesure qui aurait pour objet d'augmenter artificiellement ce ratio.

Une déformation forcée du partage de la valeur ajoutée en France au détriment du taux de marge des entreprises apparaîtrait d'autant plus incongrue que ce ratio est déjà très inférieur à sa valeur moyenne dans la zone euro, 37 %. Et alors qu'il s'est tassé en France au cours de la dernière décennie, il s'est nettement redressé dans la zone euro sur la même période, en particulier en Allemagne.

Au-delà de l'évolution du partage de la valeur ajoutée, il est souvent évoqué une explosion des dividendes versés par les entreprises françaises. Mais si les dividendes bruts versés par les entreprises ont été multipliés par 4,1 en quinze ans, à environ 210 milliards en 2010 - moins que les deux années précédentes, crise oblige -, les dividendes qu'elles ont reçus ont été multipliés par 4,8 sur cette période, à près de 150 milliards en 2010. Il y a donc eu avant tout une amplification considérable des flux de dividendes intragroupes, qui s'explique par la complexification de la structure des entreprises et leur globalisation.

Bien entendu, seul le solde de ces flux, un peu plus de 60 milliards en 2010, représente la part de la valeur ajoutée des entreprises consacrée aux dividendes. La progression de ce montant est bien moindre que celle des flux bruts de dividendes. Entre 1995 et 2010, les dividendes nets versés par les entreprises sont ainsi passés de 3,5 % à 6,4 % de leur valeur ajoutée. Là encore, cette évolution n'a rien d'incompréhensible et ne cache aucun bond de la rémunération du capital. Car, dans le même temps, les intérêts payés par les entreprises ont diminué d'autant : la rémunération totale de la dette et du capital est restée au même niveau depuis quinze ans - environ 9 % de la valeur ajoutée -, seul le « mix » de ces deux composantes ayant évolué. Depuis le début des années 1990, avec la baisse des taux, une désintermédiation bancaire accrue et l'émergence de nouveaux investisseurs en capital - étrangers en grande partie -, les entreprises ont substitué du capital à de la dette. Par ailleurs, la valeur des titres des entreprises a progressé aussi vite que les dividendes versés, le rendement de leur capital étant ainsi resté stable. Le rapport des dividendes bruts versés par l'ensemble des sociétés non financières françaises à la valeur de leurs actions et titres assimilés est même légèrement inférieur en 2010 à ce qu'il était en 1995... En moyenne période, il oscille autour de 5 %, avec des creux quand la valorisation des entreprises s'envole (1999-2000) et des pics quand elle s'effondre (2009).

Enfin, si la valeur des titres des entreprises comme le montant des dividendes qu'elles versent ont augmenté plus vite que la valeur ajoutée de l'économie française au cours des deux dernières décennies, c'est le résultat de l'internationalisation rapide et réussie de ces entreprises, et notamment des plus grandes. Leur valeur a augmenté en grande partie à raison de la richesse qu'elles créaient ailleurs, dans des économies plus dynamiques. La très forte croissance du montant des dividendes reçus par les entreprises témoigne du rapatriement dans les comptes des groupes français de cette valeur générée par leurs filiales à l'étranger. Et au cours des prochaines années, il est inévitable que la valeur des entreprises françaises et donc les dividendes qu'elles verseront progresseront plus vite que l'économie en France, sauf si ces entreprises ne parvenaient plus à tirer parti de la mondialisation. Pour les ménages français, le problème n'est pas cette évolution mais bien l'absence d'outils comme les fonds de pension, qui leur auraient permis d'être largement associés au succès global de ces entreprises, aujourd'hui de plus en plus largement détenues par des actionnaires étrangers.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.