Décroissance, démondialisation et... "dés-intelligence" ?

Par Alexandre Kateb, économiste, maître de conférences à Sciences po.
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Il est frappant de constater la popularité de pseudo-concepts comme la décroissance et la démondialisation dans notre pays.

Le premier est ancien. Il prend ses racines dans une réactivation du malthusianisme dans les années 1960-1970 à l'époque où la "bombe démographique" dans ce qu'il était convenu d'appeler alors le "tiers-monde", puis le choc pétrolier de 1973 ont réactivé "la peur de manquer" dans les sociétés occidentales. Véhiculé par des diagnostics cauchemardesques et des visions apocalyptiques, transposé à l'écran dans des films comme "Soylent Green" de Richard Fleischer, et entretenu à dessein par diverses mouvances écologistes aux soubassements idéologiques incertains - des marxistes aux libertariens en passant par les conservateurs -, ce néomalthusianisme s'est doublé d'une profonde méfiance vis-à-vis de la technologie. Face à ce qu'ils percevaient comme une transgression prométhéenne de l'ordre naturel (et/ou divin) par l'homme, certains néomalthusiens ont prôné la décroissance. C'était une manière de renouer avec le prétendu paradis de l'ère préindustrielle, oubliant la réalité d'un monde alors peuplé d'analphabètes, dirigé par une caste de seigneurs féodaux assistés de prêtres, où l'espérance de vie moyenne ne dépassait pas les 30 ans, et où les pandémies et les guerres faisaient des ravages.

Le second est plus récent, du moins dans son acception contemporaine car, de tout temps, il y a eu des défenseurs de la fermeture et du repli d'une communauté sur elle-même. Cette tentation autarcique participe pleinement du mythe du paradis perdu mais elle a pris en France des proportions inquiétantes, nullement justifiées par la situation objective de notre pays qui tire des avantages considérables de son insertion dans les échanges régionaux et mondiaux. Osons le dire, les thèmes comme la décroissance et la démondialisation prospèrent sur fond de montée du populisme et d'angoisse face à l'émergence de nouvelles puissances économiques non occidentales, comme l'Inde et la Chine. Cette fois "le péril jaune" serait vraiment à nos portes, selon les partisans du repli identitaire. Il se doublerait même d'un "péril islamiste" qui gangrènerait de l'intérieur nos sociétés occidentales, et menacerait leurs "sacro-saintes" racines chrétiennes. Huntington ne disait pas autre chose dans "le Choc des civilisations".

Tout cela ne résiste pas à l'épreuve des faits. Certes, les études économiques confirment la montée des inégalités sociales au sein des pays occidentaux, mais le prétendu "chagrin des classes moyennes" est une construction intellectuelle vide de sens. Le creusement des inégalités est bien plus lié aux bouleversements technologiques des trente dernières années - le passage du taylorisme et du fordisme à une société postindustrielle - et au processus d'adaptation qui les accompagne qu'à la mondialisation. Celle-ci, entendue comme une externalisation des activités industrielles les plus anciennes vers des zones moins avancées, ne fait que "révéler", au sens photographique du terme, ces mutations profondes et irréversibles. Il est rassurant de voir que des organisations comme Attac, pourtant peu suspectes de sympathie envers "le grand capital mondialisé", dénoncent, elles aussi, la démondialisation comme une idée superficielle et dangereuse. Il ne fait guère de doute que la mondialisation a besoin d'être régulée. Mais c'est en associant les pays émergents à ces nouvelles régulations et en prenant en compte leurs impératifs de croissance et de développement qu'on arrivera à traiter les problèmes communs, et à répondre à la fois à l'angoisse des uns et au désir d'affirmation des autres.

 

A.Kateb est l'auteur du livre "Les nouvelles puissances mondiales. Pourquoi les Bric changent le monde"

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