Fragmentation dans le village global

Par Virginie Maisonneuve, responsable des actions chez Schroders.
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Il est devenu la norme de dire que nous vivons dans un monde globalisé. Le terme mondialisation est désormais omniprésent pour évoquer l'effacement des frontières et le rétrécissement des distances - en bref, l'émergence du village global. Pourtant, nous voyons une autre tendance se développer parallèlement à cette mégatendance de la mondialisation : malgré l'interdépendance croissante du paysage mondial, nous assistons également à une fragmentation croissante. Nous ne parlons pas de mondialisation à rebours ("reverse globalisation"), mais plutôt de schismes au sein du village global qui sont le produit du processus de mondialisation lui-même, facilités tantôt par la technologie, accélérés parfois par la récente crise financière mondiale. Il existe de nombreux domaines où la fragmentation est évidente. Les plus frappants sont d'ordre macroéconomique, social, communautaire, ou liés à la "fragmentation de l'attention" résultant de nos modes de vie hyperconnectés.

La mondialisation a conduit à une intégration économique croissante et à une convergence des économies régionales en blocs d'apparence homogène. Cependant, la crise financière a stoppé et, dans certains cas, inversé cette tendance. Ce que nous observons aujourd'hui en Europe en est le parfait exemple. La naissance de la monnaie unique en 1999 a été la manifestation ultime d'une économie régionale intégrée, mais la crise financière a mis en évidence de graves défauts structurels et a révélé une Europe à deux vitesses, creusant un fossé entre le coeur de la région et sa périphérie. L'application d'une politique monétaire unique a exacerbé les différences qui préexistaient entre les économies de la région : un régime de taux d'intérêt approprié pour le coeur de l'Europe a eu des conséquences perverses à sa périphérie... De même, un taux d'intérêt réel extrêmement bas a encouragé des prises de risque excessives dans de nombreux pays, provoquant des situations d'endettement insoutenables aussi bien dans le secteur public que dans le privé.

Au niveau microéconomique, bien que la moyenne du bien-être économique se soit améliorée au cours des dernières décennies, les inégalités de revenus ont augmenté dans presque tous les pays. Elles ont crû deux fois plus vite dans les pays développés au cours des trente dernières années. Aux Etats-Unis, par exemple, les 1% plus riches gagnent près d'un quart du total des revenus, en hausse de 13% depuis le début des années 1980. En outre, il existe un fossé économique grandissant en fonction du niveau d'éducation. Une importance croissante est accordée par les employeurs aux diplômes et à la formation supérieure. Alors que, par le passé, une éducation supérieure était un atout pouvant offrir les emplois les mieux rémunérés, c'est aujourd'hui devenu presque une nécessité, avec la création d'une structure à deux niveaux dans laquelle le revenu est nettement déterminé par une variable : l'éducation.

Cette situation est aggravée par la concurrence des pays émergents tandis que l'Occident perd son monopole sur l'éducation. La Chine a désormais deux fois plus de diplômés universitaires que les Etats-Unis, et les jeunes adolescents chinois dominent les classements internationaux, dépassant leurs pairs par leurs capacités en lettres, en mathématiques et en sciences. Ces fragmentations dans le village global vont continuer et ajouter de la complexité dans la dynamique de mondialisation. Dans un monde plus interconnecté que jamais, les schismes traditionnels demeurent et de nouveaux apparaissent. Ces fragmentations peuvent se concrétiser dans des conflits, entraîner des divergences économiques ou, a minima, ajouter à la complexité et la confusion au processus de décision, induisant une volatilité accrue sur les marchés boursiers. Comme le bruit augmente à court terme, la valeur tirée de l'analyse à long terme du potentiel de gains est d'autant plus cruciale.

En tant qu'investisseurs actifs, nous devons étudier de près la capacité des équipes de direction des entreprises à vivre dans un environnement opérationnel de plus en plus complexe et mouvant ("Font-ils preuve d'anticipation ? Sont-ils suffisamment flexibles ? Les fragmentations en cours peuvent-elles changer la nature de leur clientèle et créer des opportunités de marché ?"). Dans un univers volatil, cette évaluation qualitative des points forts et de la vision du management sera un outil indispensable.

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