L'Amérique plonge ses racines dans la dette

L'Amérique a beaucoup de mal à réduire sa dette pour trois raisons. Tout d'abord parce que le capitalisme est poussé à l'extrême. Ensuite, la dette répond à la recherche d'un statut. Enfin, l'optimisme inné des Américains les pousse à s'endetter toujours plus.
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Une fois encore, l'Amérique est au bord de l'asphyxie. Si rien n'est fait, elle ne pourra plus honorer ses engagements de dépenses ayant atteint le plafond de dette autorisé par le Congrès, soit 14.294 milliards de dollars. En cinquante ans, le plafond a déjà été relevé 75 fois. Mais, à l'approche de la date fatidique, les discussions entre le Congrès et l'administration Obama deviennent de plus en plus âpres. Le mouvement du Tea Party mène la rébellion pour un gouvernement de taille réduite se concentrant sur ces missions régaliennes. Ces nouveaux conservateurs attaquent les tentatives d'accords bipartisans entre les démocrates, l'establishment républicain et l'exécutif qui visent seulement à trouver une solution à court terme d'augmentation du plafond assortie de réductions de dépenses et de nouvelles recettes fiscales. Comment inverser la vapeur dans un pays où emprunter est un acte quotidien ? Qu'est-ce qui conduit les administrations, les entreprises, les Américains eux-mêmes à être si fortement endettés et ce, à la limite du raisonnable ?

Tout d'abord, c'est un pays où l'esprit du capitalisme est poussé à l'extrême. Payer cash sa maison relève de l'hérésie lorsque l'on peut déduire de ses revenus, sans limites, les intérêts de ses crédits immobiliers ; comment résister aux offres de financement en tout genre pour s'offrir voiture, meubles, appareils ménagers... Quant aux cartes de crédit, elles arrivent par la poste, sans même avoir été sollicitées avec un crédit déjà préapprouvé ; il ne reste plus qu'à les utiliser. 600 millions de cartes de crédit sont en circulation, soit en moyenne près de 4 cartes pour chaque détenteur. Ce culte du crédit est profondément ancré chez les Américains.

Deuxièmement, la dette répond à la recherche de statut. La valeur d'égalité d'opportunité est fortement inscrite dans l'histoire des États-Unis. Dans la rédaction de la Constitution, les Pères fondateurs voulaient s'assurer de l'égalité de tous les Américains à la naissance, dans une société sans classes où chacun a la même opportunité de réussir.

 

Les années noires de l'esclavage, de la ségrégation et les problèmes liés à la discrimination ont montré le difficile chemin pour y arriver. Néanmoins, en Amérique, ce qui compte est d'abord ce que l'on réalise. Les individus sont donc en compétition pour réussir. Les biens acquis sont les signes visibles de la réussite et sont porteurs du statut social. Le crédit permet d'amplifier cette « mise en scène », la réussite devient tout de suite plus éclatante. Pas besoin d'attendre dix ans pour s'offrir le bateau de ses rêves.

L'appel au crédit permet également de montrer que l'on dispose, en toute transparence, de revenus stables, fruit d'un dur et honnête labeur dans la tradition de l'éthique protestante. Mais attention, les accidents de parcours sont inscrits dans le « credit history », le fichier centralisé qui répertorie l'ensemble des crédits sollicités par chaque Américain tout au long de sa vie ; il est le marqueur du bon citoyen, un emprunteur qui rembourse correctement ses dettes.

La troisième raison est liée à l'optimisme inné des Américains et à leur certitude de disposer d'un modèle économique, certes mis à mal avec la crise financière, mais robuste sur le long terme : le crédit finance les investissements et soutient la consommation, il est donc bon pour l'économie américaine. Il fait tourner les usines, remplit les « shopping centers », donne du travail aux artisans, permet de racheter des entreprises pour les rendre plus rentables.

Dans une économie de croissance soutenue - ce fut le cas pendant plusieurs décennies avant 2008 - quand les revenus augmentent, le poids des remboursements diminue, ce qui incite à reprendre du crédit et redynamise l'économie. Les Américains croient toujours à « l'ever expanding pie » (le gâteau en éternelle croissance), avec l'héritage de l'Abondance, fêtée le jour du Thanksgiving et célébrant l'Action de grâce et la survie des pèlerins du Mayflower un an après leur arrivée en Amérique en 1620. Les discussions actuelles sur la dette arrivent au moment où le gâteau n'arrive plus à croître au rythme souhaité. Les démocrates et les républicains s'accordent sur le fait qu'il faut faire repartir coûte que coûte le moteur de la croissance, seule solution culturelle pour les sortir de leurs difficultés. Alors la dette redeviendra un instrument parmi d'autres au service de la politique économique des États-Unis.

(*) Auteur de : « Les 12 lois incontournables du marché américain. Réussir aux États-Unis » (éditions Gualino).

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